Aujourd’hui, c’est l’anniversaire du Gaboteur. Son premier numéro a en effet été publié un 5 octobre, en 1984. Toujours vivant après 31 ans, le prochain numéro du journal francophone de Terre-Neuve-et-Labrador sera sous presse « bombye ». Pour célébrer ensemble cet anniversaire, nous vous offrons en cadeau la version l’intégrale de l’article paru dans notre édition du 28 septembre dernier et qui explique, justement, la signification du mot « bombye » tel qu’il est utilisé dans la péninsule de Port-au-Port et ailleurs, par les anglophones de la province.
PS. Vous voulez offrir un cadeau au Gaboteur pour son 31e anniversaire? Vous trouverez en bas du texte un moyen simple de le faire. Vous voulez ne rien rater de l’édition du 12 octobre 2015? Allez sur votre page « S’abonner » , écrivez à info@ gaboteur.ca ou téléphonez au (709) 753-9585 les mardis, mercredis et jeudis entre 9 h et 14 h.
Je vais faire le ménage bombye
« C’est une langue belle avec des mots superbes. Qui porte son histoire à travers ses accents. » Ainsi débute la célèbre chanson d’Yves Duteil, La Langue de chez nous. Ici, cette langue a souvent d’autres mots, d’autres accents et toute une histoire! Comme celle du mot bombye.
Holly Simon, Cap-Saint-Georges
Dans son reportage Canada’s Atlantic Side publié en 1990 dans The New York Times, le journaliste Lawrence O’Toole souligne qu’on utilise à Terre-Neuve des mots jamais entendus ailleurs, du moins par lui. Un de ces mots est bombye, qu’il traduit dans son texte par « plus tard ».
Un quart de siècle plus tard, il est toujours utilisé par des anglophones de la province et par des adultes francophones de la péninsule du Port-au-Port. Que veut-il dire en français normé? Un indice : on peut aussi dire que la partie de hockey commencera bombye ou qu’on sera chez notre voisin bombye. Ce qui signifie « bientôt ».
D’Afrique en Amérique
Le mot bombye vient de la langue Gullah, un créole anglophone parlé par les Afro-Américains et également appelé Gullah des Sea Islands le long de la côte de la Caroline du Sud et de la Géorgie. La langue a été transmise par des esclaves d’Afrique de l’Ouest qui ont était emmenés aux États-Unis pour travailler aux champs. Un autre mot Gullah bien connu est Kumbaya‘, qui signifie « venir par ici ».
Comme chez les Franco-Terre-Neuviens de Port-au-Port, l’isolement de la communauté Gullah sur des îles a aidé à garder son identité culturelle et les influences africaines de sa langue. Mais comment ce mot en est-il venu à être utilisé à Terre-Neuve? Les recherches suggèrent un lien maritime.
Ainsi, dans le chant de marins, Heigh me know, bombye me takey, (circa 1833) le mot bombye est utilisé par les esclaves africains des Iles Vierges. On retrouve aussi ce mot dans le pidgin hawaïen, avec la même définition. Le Larousse définit le pidgin comme « un système résultant de la simplification d’une langue donnée, servant uniquement aux besoins d’une communication limitée, sans être la langue maternelle de personne ».
Esclavage
Mais l’arrivée de ce mot à Terre-Neuve est un peu plus compliquée que les seules histoires de chant de marins. Bien que souvent passé sous silence, l’esclavage fait également partie de l’histoire de Terre-Neuve et du Canada Atlantique. En 1745, des Franco-Africains ont aidé à la défense de Louisbourg, en Acadie.
En 1768, des esclaves africains ont été emmenés à Terre-Neuve, qui échangeait avec la Jamaïque de la morue séchée salée contre divers produits, comme du café et du rhum. Vers 1788, 34 sloops (bateau à voile) des Bermudes sont venus à Terre-Neuve pour pêcher au large des Grands Bancs. Les trois quarts des hommes de cette flotte étaient des esclaves. Finalement, ils ont été repoussés des Grands Bancs en raison du manque d’espace pour sécher leur poisson sur les rives de l’île – un problème partagé par les marins de France.
Même si les esclaves africains étaient plus rares que les serviteurs irlandais aux premiers temps de la colonie à Terre-Neuve, il est probable que certains aient travaillé ensemble à l’époque. Il était aussi courant, sur la cote sud de Terre-Neuve, de dialoguer avec les marins étrangers. Des mots et expressions auraient été alors été échangés.
Nous pouvons en déduire que le mot est Gullah, mais qu’il est entré dans le langage des marins de plusieurs pays. L’influence irlandaise dans la péninsule d’Avalon, avec les contacts avec les marins des Caraïbes, a sans doute aussi joué un rôle dans le maintien du mot Bombye dans le vocabulaire « Bayman ». Son maintien dans le parler des francophones de la côte ouest vient peut-être d’un mélange des influences acadiennes, françaises, africaines et irlandaises. Malgré ces incertitudes, il est néanmoins clair que la langue est influencée par le commerce et les mouvements de population à travers les siècles.
Orthographes: Bonbye, Bom-bye, Bumbye
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