La société est plus tolérante et les Mi’kmaq vivent une renaissance, observe Angela Robinson, professeure d’anthropologie sociale sur le campus Grenfell de l’Université Memorial. Cette spécialiste des systèmes de croyance mi’kmaq commente le processus d’admission à la Première nation Qalipu Mi’kmaq, en cours à Terre-Neuve.
Aude Pidoux, Saint-Jean
Près de 100 000 personnes, soit 20% de la population de Terre-Neuve, ont demandé à devenir membres fondateurs de la Première nation Qalipu Mi’kmaq. Etes-vous surprise par l’ampleur de ce chiffre ?
J’ai été relativement surprise, oui. Pas tant par le nombre, mais plutôt par les critères d’admission à la Première nation Qalipu Mi’kmaq. Ces critères ont été définis pour inclure un large nombre de personnes. Ainsi, des gens dont les origines mi’kmaq remontent à plusieurs générations restent éligibles. Avec de tels critères, le nombre de demandes d’admission n’est pas surprenant : il est même peu élevé.
Qu’est-ce qui pousse des gens dont les origines mi’kmaq remontent loin dans le passé à vouloir rejoindre la Première nation Qalipu ?
Je pense que les gens ont envie de comprendre qui ils sont, d’où ils viennent, qui sont leurs ancêtres. Cela est vrai pour n’importe quel groupe de personnes, qu’elles soient d’origines irlandaise, écossaise ou mi’kmaq. A Terre-Neuve, on remarque beaucoup de références aux origines irlandaises d’une partie de la population, bien que la majorité de celle-ci n’ait jamais mis les pieds en Irlande. Pour certaines personnes issues de régions de la province régulièrement identifiées comme mi’kmaq, se reconnecter à leurs ancêtres est une façon de légitimer qui elles sont. Quand vos aïeux ont subi des préjugés ou caché leur identité aborigène, embrasser leur culture est un moyen de leur rendre honneur.
Ce processus arrive à point nommé : il y a quarante ou cinquante ans, peu de gens réfléchissaient à leurs racines aborigènes. La société est devenue beaucoup plus ouverte et tolérante ces dernières années. Adopter une identité mi’kmaq est acceptable socialement. Les gens en profitent.
Est-ce qu’une reconnaissance officielle, comme celle en cours à Terre-Neuve, change la perception qu’ont les gens de leur identité ?
D’une manière générale, découvrir des informations sur son passé modifie la perception de qui on est. Cela change la vision de votre identité et de votre place dans la société, en particulier pour les Premières nations. Découvrir que vous descendez d’une Première nation, et pas seulement de colons, change votre manière de percevoir votre position dans ce pays.
Peut-on parler d’une identité mi’kmaq, aujourd’hui, à Terre-Neuve ?
C’est bien sûr différent pour chacun. Mais beaucoup de choses ont changé ces sept dernières années, en relation avec la culture et l’identité mi’kmaq. Des programmes de langues mi’kmaq ont été développés, afin d’aider les gens à acquérir au moins les rudiments de la langue. Les célébrations culturelles connaissent aussi un renouveau : deux pow-wow sont tenus chaque année, à Miawpukek et à Flat Bay, et le nombre de participants augmente régulièrement. Ce sont des événements centralisateurs. Des cercles culturels ont été fondés. L’artisanat, la musique ou encore la médecine traditionnelle connaissent un nouvel essor. On peut parler de régénération de connaissances et d’événements spécifiquement aborigènes.
Est-il possible de reconstruire une identité collective, après tant d’années ?
La reconstruction d’une identité collective est un processus très difficile. Mais une communauté est en train de se former, et les gens y prennent part, qu’ils participent ou pas aux événements organisés. Cette communauté se bâtit sur le fait d’avoir des racines mi’kmaq.
J’entends souvent parler de réveil. Les gens s’éveillent à une part d’identité restée longtemps latente ou cachée. La situation actuelle à Terre-Neuve est une combinaison parfaite de redécouverte des racines et d’avènement d’une nouvelle époque, dans laquelle les problématiques aborigènes sont mises en avant. Le 21e siècle sera, dans une certaine mesure, celui des peuples indigènes. Ils ne vont pas rester en retrait comme pendant les siècles précédents. Ils sont désormais très bien éduqués, autosuffisants, connectés politiquement : leur réveil, à Terre-Neuve, reflète la nouvelle donne qui a cours au Canada.
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