Ryan King avec des dossiers de Rosalyn Roy – Traduction de Le Gaboteur
De nombreuses villes qui bordent la côte ouest ne sont pas des municipalités incorporées. Elles parviennent tant bien que mal à soutenir et à maintenir leurs communautés grâce aux «comités de services locaux» (Local Service Districts en anglais) et aux efforts de la communauté. Cependant, face aux circonstances changeantes, comme l’exode et le vieillissement de la population, certaines villes ont aujourd’hui du mal à fournir les services qu’elles ont fournis par le passé.
«Créer des niveaux de service optimaux pour tout le monde»
Une solution proposée est la régionalisation, qui permettrait aux communautés de se regrouper pour conserver et assurer les services auxquels elles sont habituées, voire améliorer ce qui est actuellement offert. Cependant, il existe une résistance à la régionalisation pour diverses raisons. Parmi celles-ci, on retrouve les craintes entourant une perte possible d’identité communautaire, l’augmentation des taxes, la croyance selon laquelle les choses sont bien comme elles sont aujourd’hui, le risque de déclencher des conflits entre les communautés, et le fait que la régionalisation n’est pas particulièrement efficace ou viable à cause de la géographie unique de la province.
Krista Lynn Howell, ministre des Affaires municipales et provinciales, se montre confiante en la régionalisation et estime qu’elle peut fonctionner et fournir de meilleurs services aux résidents. «Pour notre province, je pense que cela peut prendre plusieurs formes différentes, mais le principe reste le même: travailler en collaboration pour faire des choses que les communautés ne seraient peut-être pas en mesure de faire toute seule», dit Mme Howell. «Nous voulons simplement nous assurer d’avoir en tête la province dans sa totalité, et de trouver comment travailler ensemble pour créer des niveaux de service optimaux pour tout le monde.»
Mme Howell croit que le besoin pour la régionalisation est visible dans les communautés qui ont présentement de la difficulté à fournir des services. «Nous avons beaucoup de communautés qui se retrouvent avec des élections non contestées, et plus généralement, qui luttent pour garder leurs communautés viables. Elles ont donc du mal à fournir des services ou à profiter des opportunités économiques, et cela semble être davantage le cas en ce moment pour un plus grand nombre de communautés. En considérant un modèle de régionalisation, nous espérons donc aller de l’avant pour corriger certaines de ces inefficacités.»
S’adapter à la géographie de chaque région
En raison de la diversité géographique de la province, Mme Howell a expliqué qu’il ne s’agira pas d’un modèle à taille unique pour toutes les régions. «Ce qui fonctionnerait dans le nord-est de la péninsule d’Avalon ne fonctionnerait pas forcément sur la côte sud du Labrador. Nous devons donc être conscients de cela aussi. […] Je sais que certaines communautés craignent de perdre leur identité ou d’être forcées de se conformer à ce modèle, mais ce n’est certainement pas mon intention.»
La ministre a déclaré que la régionalisation présente de nombreux avantages, mais que son succès dépendra des besoins des communautés impliquées. «En gros, cela va permettre aux communautés de partager les coûts et les services dont elles ont besoin pour rester viables. […] Donc, en regroupant certaines de ces petites communautés, on leur donne une voix plus forte. Cela leur permet de mettre davantage l’accent sur les enjeux qui leur tiennent à cœur», souligne-t-elle.
Ainsi, la régionalisation pourrait fournir aux villes davantage de ressources financières et humaines aux communautés, que ce soit pour embaucher plus d’employés dans la municipalité, comme des agents de développement économique ou encore pour partager des groupes de services d’incendie.
Le partage de services importants, tels que les pompiers, est un excellent exemple de communautés déjà engagées dans la régionalisation, même si elles ne le savent pas toujours. «Beaucoup de ces choses sont déjà faites par des communautés à travers la province. Elles ont pris l’initiative, mais elles ne l’appellent pas nécessairement la régionalisation.»
Mme Howell note que les soins de santé ont une portée provinciale et ne font donc pas partie des objectifs de la régionalisation. Selon la ministre, la régionalisation présente cependant des avantages dans ce domaine, par exemple en permettant la mise en place d’un centre récréatif régional offrant des activités physiques.
En ce qui concerne la possibilité d’une augmentation des taxes, Mme Howell concède que le coût de la régionalisation est toujours en cours d’évaluation. «Pour l’instant, nous n’avons pas de chiffre à ce sujet. […] La base de tout, c’est une répartition juste et équitable pour tout le monde […].»
Consulter les communautés
Bien que le processus de régionalisation soit en cours de progression, un calendrier précis n’a pas encore été établi. «Nous allons de l’avant aussi rapidement que possible. Aussi rapidement que raisonnablement, dirons-nous, parce que c’est une idée qui va prendre du temps et qui va certainement nécessiter le soutien des communautés qui vont être affectées.»
La ministre explique en effet qu’elle et son équipe continueront de rencontrer les différentes communautés pour évaluer comment les principes de la régionalisation pourraient être mis en place afin qu’elles puissent en tirer le maximum de bénéfices.
Une préoccupation qui a été exprimée par certains résidents de la côte sud-ouest est de décider où se trouverait le centre des services régional. Par exemple, dans la vallée de Codroy, les résidents se demandent si le centre de services devrait se situer à Stephenville ou à Port aux Basques. Mme Howell a répondu qu’il y a une variété d’options sur la table. «C’est probablement le point central de notre travail à ce stade-ci, d’essayer de déterminer quelle serait la meilleure solution pour les centres de services. Nous examinons plusieurs modèles différents de régionalisation qui pourraient inclure des services fournis à partir de divers endroits, et pas nécessairement d’un centre spécifique.»
Inquiétudes des résidents
Howard Farrell, résident dans la vallée de Codroy, s’inquiète au sujet de ce modèle. Cet enseignant à la retraite n’est pas convaincu des avantages que la régionalisation pourrait offrir à sa communauté.
«Que peut faire pour nous un gouvernement régional? Nous avons nos propres fosses septiques, notre eau et nos routes, payées par les impôts sur le revenu des particuliers. Les conseils municipaux ne peuvent pas entretenir leurs propres routes. Alors, pourquoi nous imposer une autre charge et un conseil municipal qui existe déjà? […].»
M. Farrell souligne également que si les gens ne peuvent pas payer les augmentations de tarifs d’électricité liées au projet Muskrat Falls, ils ne peuvent certainement pas payer les coûts supplémentaires de la régionalisation. Selon lui, appliquer ce modèle signifie ajouter plus de taxes, ce qui affectera en premier lieu les personnes à faible revenu et les personnes âgées. Avant la mise en place de ce système de régionalisation, il aimerait d’ailleurs que les populations concernées puissent s’exprimer par référendum, au lieu d’être simplement consultées par divers moyens, comme des questionnaires sur Internet.
«Je pense qu’il faut laisser les choses telles qu’elles sont pour éviter de monter les voisins les uns contre les autres et éviter une future révolte dans cette province, et ce pays, comme cela existe dans d’autres pays […].», a déclaré M. Farrell.
M. Farrell souligne que ce n’est pas la première fois que la vallée de Codroy s’oppose à ce projet de régionalisation. «Ce projet gouvernemental n’a jamais cessé d’exister. Au début des années 1970, ils ont essayé de se réunir à l’école Belanger Memorial School pour obtenir un conseil municipal ici et croyez-moi, ça a failli en arriver aux poings! […] Et ils ont essayé en 2017. Même chose. Les gens n’en veulent pas, c’est aussi simple que ça, et si vous les poussez assez fort, ils vont riposter.»
Avantages ou inconvénients?
«Lorsque je parle aux gens dans la région, certaines personnes sont très opposées à cela», observe Scott Reid, député de St. George’s-Humber. «Ils ne veulent rien avoir à faire avec le gouvernement. Ils voient cela comme plus de taxes pour eux, et ils ne voient pas vraiment les avantages. Par contre, d’autres personnes à qui j’ai parlé voient certains avantages en termes de structure et des différents services offerts, et la possibilité de profiter de certains programmes gouvernementaux.»
Selon lui, en ce qui concerne les services d’urgence, comme les ambulances, la régionalisation permettrait d’offrir des services plus efficaces, en imposant l’inscription d’adresses civiques adéquates sur les maisons et autres bâtiments. Il croit également qu’un niveau de gouvernement plus proche des citoyens permettrait une plus grande participation et efficacité.
«Je pense que si vous avez un gouvernement plus proche des gens, vous avez un meilleur contrôle quant aux services offerts […]. Dans les grandes régions, il y a moins de contrôle local et peut-être moins d’efficacité dans les systèmes. Ce sont des domaines dans lesquels les habitants de la région doivent avoir leur mot à dire.»
Rassembler pour trouver des solutions actuelles
Pour Andrew Parsons, député de Burgeo-La Poile, la régionalisation a pour but de rassembler les communautés pour résoudre ensemble des problèmes. «Quand je regarde ce concept, je le vois comme un moyen de trouver des groupes ou des communautés qui peuvent travailler ensemble pour accomplir des choses qu’il ne serait pas possible de faire séparément. Il suffit de regarder dans d’autres endroits, comme en Nouvelle-Écosse, où ils ont fait des comtés.»
M. Parsons fait également remarquer que la régionalisation se fait à Terre-Neuve depuis des décennies, sous une forme ou une autre. «Quand je regarde le secteur dont je suis responsable, nous avons eu différentes sortes de modèles régionaux ou de groupes de travail régionaux pour divers problèmes depuis un certain temps. Je regarde la gestion des déchets. C’est quelque chose qui est fait au niveau régional depuis un certain temps. Je regarde les soins de santé. À bien des égards, c’est fait au niveau régional.»
Il comprend cependant les inquiétudes liées à l’identité communautaire. «Je pense que les gens sont prudents face à ce concept, parce qu’ils le voient généralement comme une fusion avec un plus grand centre qui fait perdre des choses. Mais, ce n’est pas la façon dont je le vois. Je le considère d’un point de vue où l’on se demande quelles sont les différentes choses que nous pouvons mieux faire en travaillant ensemble.»
Parsons souligne qu’avec les changements démographiques, tels que l’exode et le vieillissement de la population, il est nécessaire de travailler ensemble pour prospérer. «Je pense que les gens sont un peu sur leurs gardes parfois, mais je pense aussi que les gens se rendent compte que nous ne pouvons pas continuer sur le même modèle créé il y a 50 ans. Nous avons maintenant une démographie différente et nous allons devoir faire certaines choses ensemble si nous voulons réussir.»
Krista Lynn Howell souligne que les membres du public ont voix au chapitre et les invite à partager leurs opinions avec elle et son équipe alors qu’ils voyagent dans la province pour creuser le sujet. «Notre ministère veut que vous sachiez que nous entendons ce que vous dites, que nous savons qu’il y a beaucoup de questions et d’inquiétudes sur la façon dont la régionalisation va se dérouler», indique la ministre.
Texte original disponible dans son entièreté (en anglais) dans Wreckhouse Weekly
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