Un dossier de Coline Tisserand
La maison, c’est sacré
À Port Rexton et ailleurs sur la péninsule de Bonavista, beaucoup sont ceux qui connaissent la petite église aux bardeaux de bois blanc et aux pare-vents et moulures bleus, achetée par Kim Olson et Yves Thériault. Aux vues de son architecture et aux dires des connaisseurs, l’édifice, niché sur la côte à Champney’s Arm, daterait de 100 à 140 années. Photos: Yves Thériault
Parmi la cinquantaine d’habitants de la petite communauté, ceux qui ont fréquenté le bâtiment centenaire afin d’assister à la messe se souviennent qu’il n’y avait ni électricité ni poêle à bois dans cette église appartenant à l’Église Unie du Canada (United Church). Aujourd’hui, on peut voir pourtant de la lumière qui vient de l’intérieur et de la fumée sortant d’une cheminée installée à l’arrière.
Un intérieur à imaginer et à restaurer
Si on pousse la porte, on peut d’emblée remarquer que les bancs de l’église ont disparu pour laisser la place à des chaises, des tables, un canapé, un frigo, des plantes et autres meubles. «On a acheté l’église en août 2020, on faisait des allers-retours entre ici et St. John’s pour faire les rénovations. On a déménagé et on s’y est installé pour de bon le 1er novembre dernier», raconte la Nouvelle-Écossaise Kim Olson, résidente dans la province depuis 15 ans, pendant que son partenaire, Yves Thériault, fait défiler des photos de leur nouveau chez eux sur sa tablette.
On y découvre une cuisine avec des meubles tout en bois, un salon douillet sous de hauts plafonds et éclairé par la lumière du jour que laissent entrer de grandes fenêtres en ogive. En voyant ces photos de l’intérieur aménagé, il est difficile d’imaginer que l’église était difficilement habitable il y a à peine treize mois. «Quand on a visité l’édifice avant de l’acheter, on s’est dit que c’était une belle petite église…mais qu’elle était en très mauvaise forme. La structure et l’extérieur de l’église étaient bien, mais tout l’intérieur était un projet, ce n’était pas habitable», raconte Kim Olson.
Il a fallu en priorité connecter l’église à l’électricité, la raccorder à l’eau pour pouvoir (entre autres!) avoir des toilettes, mais aussi installer Internet, une condition sine qua none pour être en mesure de faire du télétravail. «C’est surtout entre le 1er décembre et le 31 janvier que cela a commencé à être fonctionnel», mentionne Yves Thériault, originaire de la Gaspésie. En pleine période des fêtes, vraiment? «J’imagine que les gens se sentaient un peu coupables qu’on soit dans cet état-là», avance-t-il.
Et si…?
En remontant le fil de ce projet de rénovation avec le couple, on se rend compte que tout le projet tient à beaucoup de «si» et de hasards du destin.
Tout d’abord, la rencontre entre le Québécois et la Nouvelle-Écossaise. Si l’avion de Yves n’était pas tombé en panne au Labrador, il n’aurait peut-être jamais pris ce verre avec Kim et ne serait jamais venu s’installer dans la province. «À l’époque, je vivais à Gatineau, on s’est rencontré au Labrador, à Nain, dans le cadre du travail, et il y avait une bonne connexion. Au retour, mon avion est tombé en panne à Goose Bay, on m’a réorienté vers St. John’s à la place. Je suis allé prendre un verre avec Kim ce soir-là, avant que je reparte le lendemain. […] Ça a commencé un peu comme ça!», se souvient le francophone qui travaille, comme Kim, à accompagner les communautés du nord à s’adapter aux changements climatiques.
Au début du printemps 2020, ne trouvant aucune maison à leur goût dans la capitale, le couple se résout à louer plutôt qu’à acheter. Mais l’intelligence artificielle de Facebook va leur jouer un tour, en plaçant une annonce immobilière bien choisie sur les réseaux sociaux de la jeune femme. «Comme je ne connaissais pas le reste de la province, Kim a organisé une petite expédition dans le coin de Port Rexton. Au retour de notre fin de semaine, elle avait une publicité pour une petite église à vendre là-bas dans son fil d’actualité Facebook… L’algorithme avait fait la connexion!», s’exclame le Québécois.
Il ne manquait que la visite de l’édifice pour finir de les convaincre d’acheter l’église et de se lancer dans ce projet de rénovation, malgré les trois heures qui les sépareraient de la capitale. Malgré l’intérieur un peu «en désastre et en désordre», les plafonds hauts, les anciennes poutres en bois, les grandes fenêtres qui laissent entre la lumière et la vue imprenable sur l’océan ne les feront pas hésiter bien longtemps. «C’était bien plus beau et plus joli que ce qu’on avait visité avant à St. John’s», remarque la jeune femme.
Cette dernière souligne que le facteur COVID-19 a aussi pesé dans la balance «S’il n’y avait pas eu la pandémie, on n’aurait pas fait ce projet. D’habitude, on voyage beaucoup pour notre travail et pour des raisons personnelles. Ce n’est pas souvent qu’on reste une année au même endroit. C’était un moment parfait pour faire des rénovations, on ne pouvait pas vraiment faire d’autre chose!»
Pas d’Internet, pas de travail
Le projet de Yves Thériault et Kim Olson a failli tourner court à cause…d’un problème de connexion Internet. Travaillant tous les deux à distance pour le gouvernement fédéral, avoir un bon débit Internet était une condition non négociable pour pouvoir vivre loin de St. John’s. «Avant de débuter le projet, on avait vérifié auprès de certains fournisseurs, qui nous avaient garanti qu’il y avait une bonne vitesse… Mais quand le technicien est venu pour l’installer, il nous a simplement dit: ‘’rappeler la compagnie, ce qu’ils vous ont vendu n’est pas disponible ici’’», raconte le Québécois. La panique! Sous les conseils d’autres habitants de la communauté, ils décident de changer de fournisseurs. S’ensuivent alors des péripéties pour procéder à l’installation. Journée trop venteuse, toit de l’église trop haut pour y accéder avec l’échelle… «Finalement on a réussi à avoir un signal assez fort avec les tours cellulaires sur le toit. Mais sans ça, je pense que cela aurait été un gros gros défi. […] Quand on parle de la possibilité d’habiter et de travailler dans des petites communautés, on oublie souvent qu’il y a des endroits où cette option ne serait tout simplement pas possible…C’est bien idéal d’aller habiter dans des coins perdus et isolés, mais si on est en télétravail avec une mauvaise connexion internet, c’est impossible», observe Yves Thériault.
Rien ne se perd, tout se transforme dans la maison!
Si Yves a déjà rénové son ancienne maison, presque centenaire, à Gatineau, c’est une première pour sa partenaire. Ils ont choisi de ne pas agrandir l’église afin de travailler avec la structure d’origine et ont essayé d’utiliser le plus possible du matériel naturel, du matériel récupéré et des meubles de seconde main, afin d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement.
Rien ne se perd, tout se transforme donc. Et quelle création! Le bois original de l’église est conservé autant que possible: tout le matériel déjà sur place est réparé, sablé, coupé pour être ensuite réutilisé en d’autres endroits. Ainsi, le bois des anciens bancs d’église sera transformé en planchers pour leur garde-robe. La plupart des planchers et les murs originels ont été réparés, sablés et repeints.
Rénover local
Travailler avec les artisans et artistes locaux est l’autre principe directeur de leur projet. Le magnifique évier en poterie dans leur salle de bain est par exemple l’œuvre du potier Michael Flaherty dont le studio, Wild Cove Pottery, est installé dans la communauté voisine de Port Union. Le couple s’est tourné vers la forge de Trinity East, The Green Family Forge, pour leurs poignées d’armoire, et pour construire le poteau de leur escalier. «Impossible de trouver une personne qui faisait des escaliers en colimaçon dans la province, donc c’est un ami qui a une compagnie de bois dans la province qui nous l’a fait sur mesure», indique Yves Thériault.
C’est François Senécal qui a conçu la cuisine en janvier 2021, après avoir rencontré le couple lors d’une soirée pendant les fêtes de Noël. Ce Québécois, qui travaille dans le milieu du cinéma, a de l’expérience en rénovation, puisqu’il s’est lui-même lancé en 2013 dans un projet similaire sur une maison centenaire à Trinity East avec sa femme Julie Raymond.
«Il y a des gens très compétents ici. Il y a beaucoup de constructeurs qui nous ont aidés, des personnes qui savent faire des portes et des fenêtres traditionnelles. Les gens prenaient le temps de venir voir nos travaux et de nous conseiller. Il y a aussi beaucoup d’artistes sur la péninsule de Bonavista, il faut simplement les chercher et les trouver», observe Kim Olson. «Et au niveau des coûts, ce n’est pas plus cher, ou alors pas beaucoup, que de payer pour des choses qui seraient faites en Chine», ajoute son partenaire.
Trouver l’équilibre
Tous ces choix, s’ils respectent les valeurs du couple, ne sont pas sans défis et demandent parfois de la patience, certaines étapes prenant plus de temps que d’autres. «Par exemple, réutiliser certaines parties du bois pour d’autres endroits de l’église, ce sont de belles idées, mais cela peut se révéler être un véritable casse-tête dans la pratique. […] On réalise qu’on n’est pas en contrôle et que certaines choses, indépendantes de nous, peuvent prendre du retard», analyse Kim Olson. Pour Yves, tout est une question d’équilibre: «Les choses doivent avancer, car on vit et on travaille là, mais en même temps, on essayait d’utiliser le maximum de choses qui avaient le moins d’impact.»
Ils ne regrettent en rien d’avoir pris le temps de chercher des solutions locales ou de récupération, et en sont aujourd’hui presque aux finitions. «Si on n’avait pas fait appel aux artistes du coin, on aurait eu un résultat complètement différent, qui n’aurait pas été aussi joli et intéressant», admet la Nouvelle-Écossaise.
En contrepartie, leur présence et leur projet dynamisent l’économie de la petite localité à l’année et permettent de préserver cet édifice religieux et son histoire. «Les gens de la communauté sont assez heureux d’avoir des personnes qui ont racheté cet endroit-là pour en faire une maison. […]», fait valoir Yves Thériault. Cent ans plus tôt, qui aurait pu en effet deviner que l’église serait transformée en une habitation chaleureuse par un Québécois et une Nouvelle-Écossaise? Les voies du Seigneur sont réellement impénétrables.
Un programme de rabais pour stimuler l’économie
Pour leur projet de rénovation d’église, Yves Thériault et Kim Olson ont pu bénéficier d’une remise de la province dans le cadre du Programme de remise pour la construction résidentielle (The Residential Construction Rebate Program). Mis en place en juin 2020, ce programme a pour objectif de permettre «aux propriétaires d’économiser de l’argent sur les projets de construction et de rénovation, tout en contribuant à stimuler l’économie et l’emploi dans l’industrie de la construction de la province» peut-on lire sur le site Internet du gouvernement. Les personnes ayant contracté un projet entre juin et août 2020 pouvaient ainsi faire une demande pour un remboursement de 10 000$ sur la construction d’une nouvelle maison ou pour une remise de 25% des coûts liés à un projet de rénovation d’une résidence principale. Au 27 septembre 2021, environ 10 300 demandes avaient été approuvées pour ce programme, et pour 7 600 d’entre elles, les demandeurs avaient déjà reçu un paiement pour les travaux de construction effectués. Interrogé au sujet des églises protégées, Michael Philpott, l’agent chargé d’accorder les subventions et les désignations à la Heritage Foundation of Newfoundland & Labrador (Heritage NL), faisait remarquer que les contractants en construction de la province font face à beaucoup de demandes de projets en raison de ce programme de rabais, et ce, bien que les prix des matériaux aient explosé pendant la pandémie. «Tous les entrepreneurs à qui j’ai parlé étaient très occupés», dit-il
DEVENIR UNE STRUCTURE PATRIMONIALE ENREGISTRÉE
Pour l’instant, bien que vieille d’une centaine d’années, l’église rénovée par Kim Olson et Yves Thériault n’a pas de désignation officielle en tant que structure patrimoniale enregistrée (registered heritage structure en anglais). Michael Philpott, agent à la fondation patrimoniale à but non lucratif de la province, la Heritage Foundation of Newfoundland & Labrador (Heritage NL), nous en dit plus à ce sujet.
«On va voir dans le futur avec Heritage NL, […] il y avait d’autres priorités avant de chercher cette désignation!», précise Kim Olson. Cette désignation permet aux propriétaires d’édifice qui la reçoivent de bénéficier de subventions de la part de la Heritage NL tant pour la restauration que pour l’entretien continu du bâtiment.
Selon Michael Philpott, agent à Heritage NL, tout propriétaire de bâtiment peut faire une demande de désignation qui sera alors examinée par un comité du conseil de Heritage NL. «On regarde l’âge du bâtiment, la forme, les signes architecturaux, l’importance historique et culturelle, mais aussi qui y a vécu, comment il a été utilisé, qui l’a construit, si des histoires de la communauté y sont rattachées, ou encore si c’était un espace important dans la communauté. Ça aide si l’édifice fait partie d’un paysage historique, c’est-à-dire s’il y a des éléments historiques, une root cellar (caveau à légumes typiquement terre-neuvien) par exemple, qui peuvent contribuer à l’expérience autour du bâtiment.»
Selon lui, sur 400 structures désignées comme structure patrimoniale par Heritage NL, environ 46 sont des églises ou des bâtiments religieux – chapelles, couvents, presbytères –, ce qui représente environ 14% des désignations totales. «Un quart d’entre elles appartiennent à des groupes communautaires ou à des municipalités, essentiellement pour des utilisations communautaires ou à but non lucratif. Seulement 10% sont possédées par des propriétaires privés», indique l’agent.
Parmi cette quarantaine d’églises, les deux tiers d’entre elles sont encore utilisées pour leur fonction première aujourd’hui. «Certaines sont plus utilisées que d’autres, qui ne le sont que de façon ponctuelle pour les mariages et ce genre de choses», précise Michael Philpott.
Apprendre à restaurer
En plus d’une trousse à outils créée il y a quelques années pour aider les personnes intéressées à approcher le travail de restauration, Heritage NL offre une série de formations et d’ateliers destinés à enseigner des compétences en restauration spécifiques. «Beaucoup de ces compétences peuvent s’appliquer à la restauration d’églises, comme nos ateliers de confection de bardages en bois (clapboarding), de réparation du bois, ou réparation des fenêtres traditionnelles», souligne M. Philpott.
Il mentionne en exemple le dernier atelier en date organisé en septembre à Torbay, autour de la restauration des fenêtres en bois. «Les fenêtres en bois ont ceci de particulier qu’elles peuvent être démontées et remplacées pièce par pièce, contrairement à la plupart des fenêtres modernes», commente Michael Philpott.
L’agent encourage en tout cas toutes les personnes propriétaires de bâtiments à contacter Heritage NL pour toute question liée à la restauration du patrimoine ou encore s’ils cherchent des guides ou des indications générales en termes de rénovation d’un bâtiment historique.
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