Maxime Bilodeau
Le Détecteur de rumeurs – Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)
Les faits
Les Conférences des Parties (COP) sont l’occasion pour les États de faire le point sur leurs actions en faveur du climat. Ce sont aussi des événements qui réunissent des dizaines de milliers de personnes provenant des quatre coins de la planète : les délégations des différents pays, de même que des représentants de la société civile préoccupés par l’urgence climatique, comme la désormais célèbre militante suédoise Greta Thunberg.
Ce qui crée un paradoxe: ces conférences deviennent responsables d’émissions de gaz à effet de serre (GES). L’Organisation des Nations unies ne s’en cache pas puisqu’elle compile des statistiques à ce sujet. Ainsi, les 33 536 participants (un record) à la COP15 de Copenhague, en 2009, ont rejeté 26 276 tonnes équivalent CO2 (tCO2e) dans l’atmosphère. Lors de la COP24 de Katowice, en 2018, ce sont plutôt 59 020 tonnes que les 23 259 participants ont produites. C’est l’équivalent des émissions annuelles moyennes de 6148 Québécois pour cette même année de référence.
Ces émissions de GES sont comparables à celles d’autres rencontres internationales du même genre. Une étude commandée par Affaires mondiales Canada évaluait par exemple que les activités du Sommet du G7 à La Malbaie, dans Charlevoix, avaient généré 8635 tCO2e en 2018 — cela inclut les activités satellites tenues à Québec ainsi que les réunions préparatoires. Autre exemple: les quelque 25 000 participants à une grande conférence scientifique à La Nouvelle-Orléans, à l’automne 2017, ont émis environ 30 000 tCO2e. Ces scientifiques se réunissaient alors pour échanger… sur les changements climatiques.
Chaque fois, ce sont les transports, et surtout l’avion, qui génèrent la part du lion des émissions de GES. Les vols des délégations étrangères et des autres participants de l’extérieur, lors de la COP24, ont ainsi été responsables du rejet de 49 618 tCO2e, soit environ 84% des émissions totales dues à l’événement. Le reste provient des déplacements locaux et des émissions relatives à l’hébergement.
Les solutions
Le dilemme éthique que cela pose est dans l’air depuis longtemps. En fait, en dehors des COP, plusieurs universitaires ont réfléchi ces dernières années à la légitimité de tenir autant de congrès scientifiques internationaux en présence, et à des façons de compenser leur empreinte carbone.
La pandémie de COVID-19, en forçant le report de la COP26 de Glasgow l’an dernier, a rappelé qu’il existait des alternatives. Depuis un an, de nombreux événements destinés à préparer ladite conférence se sont tenus en format virtuel. Le président des États-Unis, Joe Biden, a même convoqué une quarantaine de dirigeants à un sommet virtuel sur le climat en avril dernier, à l’occasion du Jour de la Terre. Au terme de cette rencontre, les États-Unis, tout comme le Canada, se sont engagés à baisser de manière encore plus significative leurs émissions de GES.
Par ailleurs, à défaut de pouvoir être éliminées à la source, les émissions de GES de ces rencontres internationales peuvent être compensées. C’est ce qu’ont fait les pays hôtes de différentes COP depuis Bali (2007). De semblables projets sont dans les cartons pour la COP26 de Glasgow: la ville a annoncé vouloir planter jusqu’à 18 millions d’arbres dans la foulée de l’événement.
Tous ne sont toutefois pas prêts à abandonner les rencontres en personne. «Qui peut prétendre qu’il serait réellement mieux de n’avoir aucun processus de coopération impliquant tous les États?», s’interroge Géraud De Lassus Saint-Geniès, de la Faculté de droit de l’Université Laval, dans les pages de la revue de vulgarisation Le Climatoscope. Une COP26 virtuelle «ne fonctionnera pas», affirmaient péremptoirement, l’an dernier — au moment où la planète venait d’entrer en confinement — des experts interrogés par la revue Forbes. «Ce qui a lieu à la COP annuelle est le point culminant» des efforts entrepris pendant l’année précédente », selon Joeri Rogelj, du Collège impérial de Londres. «C’est là qu’ont lieu les négociations lourdes et les décisions difficiles.»
TNL vend du pétrol à la COP26
Cody Broderick
La COP26 s’est tenue à Glasgow, en Écosse, du 31 octobre 2021 au 12 novembre 2021, accueillant des dirigeants politiques du monde entier, dont le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et le Premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey. Le Premier ministre canadien a annoncé que le Canada allait plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier afin d’atteindre un niveau net zéro d’ici 2050. Quant à M. Furey, il a vu dans la conférence une occasion de vendre davantage de pétrole, dont il rappelle qu’ils sont «parmi les meilleurs au monde, parmi les plus propres au monde» [traduction libre]. Le secteur pétrolier représente actuellement 20% du PIB de la province.
Depuis sa présence à la COP26, les internautes de Terre-Neuve-et-Labrador, partout sur les réseaux sociaux, ont dénoncé le premier ministre pour son écoblanchiment: «Une stratégie provinciale en matière d’énergie renouvelable – définie par les élites corporatives, les exportations à grande échelle, les barrages hydroélectriques désastreux sur le plan écologique, l’écoblanchiment de la production pétrolière en mer – n’est pas ce dont Terre-Neuve-et-Labrador a besoin,» lit-on dans un poste sur Twitter.
L’écoblanchiment est une tactique de marketing utilisée pour attirer les clients soucieux de l’environnement. Cela se produit lorsque des idées ou des produits, qui en réalité nuisent à la planète, sont vendus sous le couvert de la lutte contre le changement climatique. Un exemple quotidien de ce phénomène est la vente par des entreprises de soins dentaires de brosses à dents en bambou dans des emballages en plastique ou avec des poils en plastique.
Émissions de CO2 et inégalités sociales
Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)
Quand les recherches en sciences sociales sur les inégalités croisent les recherches sur le CO2, ça donne ceci: 10% de la population mondiale avait émis 48% des émissions de gaz à effet de serre en 2019. Et le 1% le plus riche a émis 17%.
Ce sont les totaux auxquels arrive l’économiste français Lucas Chancel, dans un rapport sur les «inégalités des émissions mondiales de carbone» de 1990 à 2020, paru le 21 octobre. Chancel est codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales, à l’École d’économie de Paris.
En chiffres absolus, cela donne une moyenne de 31 tonnes de CO2 par personne en 2019 pour la tranche des 10% les plus riches, contre 1,6 million de tonnes pour la moitié de la population la plus pauvre (ou 3,8 milliards de personnes). Quant au 1% le plus riche, il se retrouve avec une moyenne de 110 tonnes de CO2 par personne.
Et ce qui n’arrange rien, «depuis 1990, les émissions du 1% ont augmenté plus vite que celles de tout autre groupe». Cela, en dépit de la croissance économique dans plusieurs pays dits émergents.
Les inégalités sont elles-mêmes inégalement réparties par continent: les émissions moyennes en Europe, riches et pauvres confondus, approchent les 10 tonnes de CO2 par personne en 2019, contre 20 tonnes en Amérique du Nord. La Chine s’approche de l’Europe, avec 8 tonnes par personne. En Amérique du Nord, les 10% les plus riches ont produit 73 tonnes d’émission.
L’auteur suggère que ces chiffres pointent vers l’importance d’une taxe carbone qui ne ciblerait pas tant les plus gros émetteurs que la frange de la population la plus aisée. «Dans plusieurs pays riches, les émissions per capita de la moitié la plus pauvre de la population ont décliné depuis 1990, contrairement à celles des plus riches». Résultat, les cibles de réduction des émissions que se sont fixées les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France, sont déjà pratiquement atteintes pour la moitié la plus pauvre de la population. «Dans ces pays, lit-on dans le document, les efforts politiques devraient par conséquent être largement dirigés vers la réduction des niveaux d’émission de la moitié supérieure de la population, et en particulier du 10% supérieur».
Un taux d’imposition de 10% sur la valeur des actifs carbone détenus par les multimillionnaires du monde entier rapporterait, selon le Laboratoire sur les inégalités, 100 milliards de dollars par an. Ce qui représente justement la contribution suggérée en 2009 aux pays riches pour aider les pays pauvres à atténuer les impacts des changements climatiques. La contribution en question, après 12 ans d’efforts, n’a toujours pas atteint ce seuil.
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