Chronique à temps perdu
Patrick Renaud
Le courage. Le mot multiplie ses apparitions dans mes lectures au cours des dernières semaines. Dans Le Gaboteur. Dans mes cours également, alors que je tente ces jours-ci d’initier mes étudiants à La République de Platon. Pour ce dernier, le courage est essentiellement une vertu militaire. Dans la société parfaite telle que le penseur grec la conçoit, le courage grâce auquel la cité prospérera est celui de l’armée. Pour Platon, l’artisan ou le cordonnier qui se lève chaque matin pour exercer son métier n’est pas courageux. Le courage est une vertu de soldat.
Bien entendu, nous avons aujourd’hui une compréhension plus élastique de ce que peut être le courage et de qui peut être courageux. Dans le dernier numéro du Gaboteur, justement, Hannah Snider, fille d’une famille militaire, nous parlait de tous les sacrifices que doivent faire les membres d’une telle famille au quotidien pour permettre au soldat d’exercer sa fonction, pour l’accompagner. Derrière le courage du soldat donc, celui de sa famille.
Et à la mi-novembre, CBC NL publiait un article qui revenait sur le courage de ceux et celles que nous avons appelés, durant quelques temps au moins, «travailleurs et travailleuses essentiels». Au courage du soldat et de sa famille s’ajoute celui de la caissière, du livreur, de l’infirmière, de la préposée au bénéficiaire, du concierge, de l’usinier, et j’en passe. Le vieux Platon serait scandalisé, mais il aurait tort de l’être: le courage n’est pas qu’une affaire de guerre et de soldat.
Lorsque le courage en vient à manquer
Le thème du courage s’est aussi manifesté à l’occasion de la signature de l’entente à la COP26 tenue cet automne en Écosse. Il s’est manifesté, cependant, par la négative, sous la figure du manque ou du déficit.
L’urgence de la situation climatique n’étant plus à démontrer, la COP26 se voulait l’occasion – une autre – de prendre acte de cette urgence. Certains médias parlaient même d’une «dernière chance» ou d’un «dernier espoir». L’éléphant aura finalement accouché d’une souris, une autre. La jeune activiste pour le climat Greta Thunberg réduit l’ensemble de l’œuvre en n’y voyant que du «bla bla bla».
Faire face à ses propres contradictions
En parlant du «bla bla bla» de la COP26, Greta Thunberg veut indiquer qu’il y a une contradiction entre la parole et les actes. Que sans des actions concrètes, nos paroles ne sont que du vent. Cette contradiction est certes flagrante, mais elle est le symptôme de contradictions beaucoup plus profondes et diffuses.
La plus déterminante de ces contradictions a été mise en scène par Gérald Fillion, commentateur économique sur RDI lors d’une entrevue à La soirée est (encore) jeune. Il y disait que «l’environnement ne peut pas être opposé à l’économie». Il a bien sûr raison. On ne peut pas «sortir» de l’économie dans la mesure où l’économie est l’art de s’assurer que nous ayons accès collectivement aux ressources matérielles nécessaires à la vie. Sortir de l’économie voudrait dire sortir de la vie.
Gérald Fillion ajoute ensuite que «si vous voulez avoir une qualité de vie et un niveau de vie, il faut prendre des décisions aujourd’hui». Et c’est ici, il me semble que la contradiction s’insère, tel le ver dans la pomme. En effet, il faut se poser la question: peut-on concilier ce désir d’une certaine qualité de vie et d’un certain niveau de vie avec les gestes qu’il faut poser pour répondre à l’urgence climatique? Surtout qu’ici, il ne faut pas se berner: «qualité de vie» et «niveau de vie» réfèrent aux habitudes de nos sociétés de l’hyperconsommation.
La contradiction est là. Nous souhaitons continuer à vivre comme nous le faisons, dans ce qu’il faut appeler le luxe de la consommation, sans voir que, pour que cela soit possible, il faille continuer à exploiter les ressources naturelles nécessaires à la production des marchandises qui peuplent nos existences.
Nous souhaitons «sauver le climat» en pensant que ce salut se fera sans aucun impact sur notre qualité de vie, notre niveau de vie, notre confort. Nous préférons, d’une certaine manière, mourir confortablement plutôt que de vivre.
Surtout que le confort dont il est question est le confort d’une maigre partie de l’humanité et non pas celui de l’humanité tout entière. Notre contradiction en entraîne ainsi une seconde qui, elle, prend la forme d’une injustice: pour le confort des uns, nous sommes prêts à sacrifier les chances de survie des autres.
D’où, il me semble, la nécessité de réévaluer notre rapport à nos désirs, de reconsidérer ce qui participe à la «qualité» de nos vies, d’apprendre à distinguer entre cette «qualité» d’un côté et le confort et la facilité matérielle de l’autre. Et pour faire face à ses désirs, pour refuser ce que l’on a appris depuis l’enfance à désirer, ça prend du courage. Nous en aurons besoin, vite.
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