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Une nouvelle école francophone à St. John’s

Après plus de trois ans de négociations avec le gouvernement provincial, la nouvelle est finalement tombée le 23 novembre dernier: le Conseil scolaire francophone provincial (CSFP) obtiendra une deuxième école francophone à St. John’s pour des élèves de la maternelle à la 6e année (M-6).

ÉDUCATION

Coline Tisserand

IJL- Réseau.Presse – Le Gaboteur

À défaut de s’être vu accorder, comme demandé, la construction d’un nouveau bâtiment dans le quartier de Galway, cette nouvelle école du CSFP sera installée dans l’ancienne École pour les Sourds, la Newfoundland School for the Deaf (NSD), qui sera rénovée pour accueillir les francophones à partir de septembre 2022. Quelle est l’histoire de cette école? Que sait-on sur ce nouveau projet? Le Gaboteur fait le point.

Quels échéanciers?

Lors de la 115e réunion du CSFP et la 24e AGA qui a suivi le 27 novembre, Kim Christianson, la directrice générale du CSFP, a précisé que le projet de la nouvelle école se déroulerait en deux phases. En premier lieu, il s’agit de «déménager» les élèves de la 7e à la 12e année, actuellement installés à l’École Rocher-du-Nord (ERDN), pour septembre 2022. «Nous devrons bouger vite avec les rénovations, car le bail [de location] qui nous permet d’occuper l’ ERDN se termine en juin 2022 et ne sera pas renouvelé», précise Michael Clair, le nouveau président du CSFP.

En deuxième phase, l’école rénovée accueillera également une partie des élèves de M-6, idéalement en septembre 2023, mentionne Mme Christianson. Elle ajoute que les détails autour d’un centre communautaire suivront. L’autre partie des élèves de M-6 restera scolarisée à l’École des Grands-Vents. Aucune précision n’a pour l’instant été donnée quant aux critères pour répartir ces enfants entre les deux écoles. Le Gaboteur n’a pas pu en savoir plus à ce sujet, la DG du CSFP n’étant pas disponible pour une entrevue avant la mise sous presse de cette édition.

Quel quartier?

L’édifice de l’ancienne NSD se trouve au coin du Topsail Road et de Colombus Drive, au sud-ouest de la capitale. Cet endroit de la ville, qui fait partie du quartier West End, est qualifié par le CSFP comme étant à «forte croissance démographique».

Le bâtiment se trouve juste à côté des écoles anglophones Waterford Valley High (secondaire), Hazelwood Elementary (maternelle) et Beaconsfield Junior High (intermédiaire), ainsi qu’en face de la zone commerce du Village. Le trafic automobile et piéton est très important à cet endroit.  De nombreux étudiants du secondaire traversent cette route pour se rendre au Village Mall à l’heure du déjeuner. Un jeune étudiant de 17 ans est d’ailleurs décédé en 2015, après avoir été percuté par une voiture alors qu’il traversait sur Topsail.

Suite à cet accident, parents et élus avaient suggéré la construction d’une passerelle piétonne aérienne au-dessus de Topsail, proposition qui n’a finalement pas abouti. «Ce genre de passerelles ne fonctionnent que lorsqu’elles vont d’un bâtiment à l’autre [ce qui ne serait pas le cas ici]», estime le conseiller municipal de la circonscription de West End, Jamie Korab, qui cite l’exemple de la passerelle au-dessus de Prince Philip Drive, reliant deux bâtiments de l’Université Memorial entre eux.

Le conseiller précise pour autant que la sécurité des étudiants reste une priorité, et que depuis 2015, un feu rouge temporisé permet aux étudiants de traverser de manière plus sécuritaire. «Si, et quand, cette école francophone ouvrira ses portes, c’est certain que je demanderai à mon équipe que l’on réexamine la situation pour voir l’augmentation du nombre de piétons, et pour s’assurer de rendre le trafic piéton plus sûr», indique le conseiller.

Une partie de l’ancienne École pour les Sourds est actuellement occupée par le College of North Atlantic, la Cour Suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, et l’association School of Lunch. Photo: Cody Broderick

La Newfoundland School for the Deaf: quelle histoire?

Au 20e siècle, un des premiers sanatoriums de la province a été construit sur le site où se trouve aujourd’hui le bâtiment de l’ancienne École pour les Sourds. Ce sanatorium, destiné à soigner les patients atteints de tuberculose, a fonctionné de 1917 à 1972. Aujourd’hui, seule une plaque historique rappelle l’existence passée de ce lieu.

Avant l’année 1964, les enfants sourds étaient scolarisés dans des écoles spécialisées à Montréal et à Halifax. Il n’y avait alors aucune école spécialisée dans la province. C’est en 1987 que la Newfoundland School for the Deaf a ouvert ses portes sur le Topsail Road. Avant de déménager dans cet endroit, les professeurs et les étudiants sourds se trouvaient notamment dans un édifice militaire près de l’aéroport de St. John’s.

La NSD avait des dortoirs, mais aussi des appartements pour les étudiants plus âgés, afin d’héberger les enfants qui venaient en dehors de St. John’s pendant leur scolarisation. Originaire de Conne River, Mahalia Drew est arrivée en 1997 à la NSD et a vécu dans les résidences pendant 13 ans, jusqu’à sa fermeture en 2010. «J’ai tellement de souvenirs (bons et mauvais) dans ce lieu. J’y ai grandi», écrit-elle au Gaboteur.

En août 2010, la fermeture de la NSD par la province – en raison d’une absence d’inscriptions pour la rentrée suivante – a été un coup dur pour la communauté sourde. La baisse d’inscriptions s’explique par la mise en place en 2009 d’une initiative pour l’éducation inclusive, encourageant l’inclusion progressive des étudiants sourds et malentendants dans les écoles publiques.

La douleur, la frustration ou encore l’incompréhension de cette fermeture sont encore présentes aujourd’hui. «Nous nous sentons blessés et opprimés. […] Ils [le gouvernement] ont fait cela sans consulter la communauté des sourds […]», estime l’ancienne élève Andrea Boundridge, aujourd’hui professeure de langue des signes américaine (ASL) à la Newfoundland and Labrador Association of the Deaf (NLAD). Dans cette école, les étudiants pouvaient pratiquer quotidiennement l’ASL, explique-t-elle. «J’étais également déçue, parce que je savais qu’il y avait plusieurs enfants sourds dans la province qui avaient besoin d’un accès complet à l’éducation […]. J’étais en colère, triste et déçue», ajoute Mahalia Drew.

Suite à cette fermeture, le bâtiment est parfois utilisé par des écoles du Newfoundland and Labrador English School District (NLESD), le Conseil scolaire anglophone. C’est le cas notamment des étudiants de Bishop Feild, qui y sont restés d’octobre 2017 à juin 2020 pendant la réfection de leur école élémentaire. Actuellement, le College of North Atlantic, ainsi que l’organisme caritatif School of Lunch occupent des parties de ce bâtiment, et depuis septembre 2020, la Cour Suprême de Terre-Neuve-et-Labrador y tient ses procès par jury. John Finn, le directeur exécutif de School of Lunch, indique ne pas savoir si les occupants actuels, dont son association, resteront dans l’édifice une fois l’école francophone en place. «Mais c’est entièrement faisable. […] C’est un très grand bâtiment fonctionnel en plusieurs parties. […] On va être en conversation avec le CSFP par la suite.» Il mentionne d’ailleurs que l’École des Grands-Vents fait partie des écoles qui reçoivent des repas de School of Lunch.

Quelles infrastructures? Et quelles rénovations?

Alors qu’elles étaient étudiantes à la NSD, Mahalia Drew et Andrea Boundridge, indiquent qu’il y avait un laboratoire de sciences, une cafétéria, un théâtre, un gymnase, une bibliothèque, une salle pour les cours d’économie domestique, une salle informatique, une salle pour l’audiologie, en plus d’une vingtaine de salles de classes et de dortoirs. Il n’a cependant pas été possible pour Le Gaboteur d’obtenir une description de l’édifice du NSD, de son état actuel et de ses équipements disponibles de la part du ministère du Transport et des Infrastructures (TI).  

Ni leur ampleur et ni la durée des rénovations n’a été précisée par le CSFP. Des rencontres sont en cours et à venir avec le ministère de l’Éducation et des TI afin de développer un plan de rénovation.

Reste à voir si la communauté sourde sera consultée et l’histoire de l’édifice préservée. Mme Boundridge espère que ce sera le cas, mais elle en doute. «Le gouvernement ne se soucie pas de nous. Encore une fois, c’est un acte d’oppression. […] Le gouvernement ne pense rien de nous parce que nous sommes la minorité. […] Ils se soucient de la minorité francophone parce qu’ils peuvent parler avec leur voix, contrairement à nous», écrit-elle au Gaboteur.

Encore aujourd’hui, ce lieu revêt une importance particulière pour les personnes de la communauté sourde. «C’est notre maison, où nous trouvons notre famille sourde, où nous avons un fort sentiment d’identité sourde», poursuit la professeur d’ASL. Mahalia Drew précise: «Il y a plusieurs peintures murales à l’intérieur du bâtiment que nous avons peintes. C’est là que j’ai appris ma propre culture et ma propre langue. […] On m’a également appris à approcher diverses barrières [en lien avec la surdité]. On nous a appris à nous battre pour nos droits». Elle espère que les peintures murales seront conservées. «Ce serait bien qu’ils créent quelque chose qui expose l’histoire de la NSD», suggère-t-elle.

Leurs voix seront-elles entendues par la province et le CSFP? Un dossier à suivre.

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