Patrick Renaud
Chronique à temps perdu
On connaît toutes et tous la ritournelle du Nouvel An, le cantique des résolutions et des bonnes volontés que nous exprimons autour d’un repas ou d’une coupe de mousseux bon marché. On voit la nouvelle année comme une occasion à saisir. Qu’il s’agisse de suivre un nouveau régime alimentaire, d’arrêter de boire ou de fumer, de commencer à s’entraîner, la nouvelle année se présente d’emblée comme une promesse, comme une possibilité ouverte. La nouvelle année porterait en elle la possibilité d’un nouveau moi, d’une meilleure version de soi-même.
Le jour de l’An est un exemple parmi d’autres de la manière par laquelle nous, êtres humains, nous nous approprions les choses les plus banales pour en faire des occasions primordiales de sens. Un jour comme un autre n’est pas, justement, un jour comme un autre. Les coups de minuit deviennent les signes d’un bonheur pour soi qu’il suffirait de saisir au vol, qu’il suffirait d’accepter. Le jour de l’An est le carpe diem par excellence.
Des résolutions qui s’étiolent
On connaît tous également combien ces résolutions et ces volontés du Nouvel An sont frivoles et légères; elles ont rarement une prise réelle sur nos vies. On cesse très rapidement d’aller au gym, on ouvre une bouteille de vin qu’on s’était promis d’offrir à un ami pour ne pas la boire, on succombe à la nourriture grasse qu’on avait pourtant choisi de voir comme étant mauvaise pour nous («so bad, but so good…»). Une occasion manquée…
Très rapidement, on retombe, comme on le dit si souvent, dans nos vieilles habitudes. Après avoir cru pouvoir changer – son corps, sa vie -, on s’aperçoit que notre corps, notre vie et notre volonté, eux, refusent de changer; qu’ils persistent malgré nous, ou en tout cas, malgré une certaine partie de nous. On se rend compte que, finalement, il ne suffit pas de saisir l’occasion au vol…
Que veut dire «vouloir quelque chose»
Comment comprendre cependant cette volonté brûlante et récurrente – annuelle – de changer et ces rechutes toutes autant récurrentes dans nos vieilles habitudes? Comment expliquer que chaque année, nous voulions autant changer?
Une manière de se l’expliquer pourrait être de dire que cette volonté récurrente est une volonté enfantine et innocente. Une volonté sincère et puissante, certes, mais limitée. Limitée, parce qu’elle n’a pas appris à se projeter dans le monde. Elle demeure une volonté qui se rêve, plutôt que de se vivre.
Or une telle volonté ne prend pas la mesure de ce qu’elle veut, de ce qu’elle doit faire pour advenir. Elle ne comprend pas que pour vivre, une volonté doit accepter de se faire violence. La personne qui veut devenir forte doit endurer la souffrance des muscles endoloris par l’effort. Celle qui veut être ministre doit supporter l’ennui des audiences et les tracas de la vie publique et médiatique.
Se faire violence. Mais une volonté réellement volontaire doit également prendre acte du fait qu’elle doit, en quelque sorte, faire violence au monde, imposer les conditions de sa propre réalisation. Vouloir apprendre une langue implique de prendre le temps de le faire; c’est-à-dire qu’il faut arrêter de dédier son temps à autre chose. Vouloir s’entraîner implique de peut-être se lever plus tôt le matin et de se priver des plaisirs de la paresse matinale.
Bref, réellement vouloir quelque chose implique d’apprendre à vouloir autre chose que ce que nous voulons. Cela implique aussi d’arrêter de vouloir d’autres choses qui deviennent en quelque sorte des obstacles à surmonter. Cette dernière idée est un élément déterminant de ce qu’on pourrait appeler une éducation de la volonté. Elle est peut-être ce qui peut nous permettre de passer d’une volonté rêvée à une volonté réellement résolue.
Et vous? Qu’êtes-vous prêts à vouloir?
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