Propos recueillis par Rose Avoine-Dalton
Qui est Estelle Faye?
Bien, j’écris des livres dans tout ce qui est imaginaire, science-fiction, fantaisie, histoire. […] J’aime beaucoup les océans et j’aime beaucoup les romans qui font voyager les lecteurs. J’ai toujours habité en France, en banlieue parisienne. […] Mais j’ai de la chance d’avoir de la famille un peu partout et j’ai passé pas mal de temps à cinq minutes de l’océan. Ma passion pour l’océan vient beaucoup de là.
J’ai de la chance aussi d’avoir des parents qui voyageaient pas mal quand j’étais petite, aussi bien par goût que pour leur travail. Surtout en Europe et de l’autre côté de l’Atlantique, aussi bien au Canada qu’aux États-Unis. Après, quand j’étais un peu plus âgée, j’ai découvert le Chili et plus récemment la Bolivie. Ça m’a beaucoup donné le goût des voyages, et même s’ils n’étaient pas du tout auteurs — ils étaient professeurs de physique — ils sont de très, très gros lecteurs donc ils m’ont aussi beaucoup donné le goût des livres.
Sans gâcher trop l’intrigue de l’histoire, qu’est-ce qui se passe dans le livre Widjigo?
Ça commence en 1793, en Basse-Bretagne. On est à la fin de la Révolution française donc c’est la terreur: en gros, il y a pas mal de guerres civiles, de massacres et la révolution tourne un peu mal. Un jeune soldat de la république qui n’a jamais quitté Paris vient sur les bords de l’océan Atlantique arrêter un vieux noble.
Évidemment, le jeune soldat croit à la révolution […] mais il se doute bien que ce qu’il est en train de faire, ce n’est plus vraiment moral. Surtout que, depuis quarante ans, depuis que le noble est revenu en France d’un voyage de l’autre côté de l’océan — justement à Terre-Neuve — ce noble n’a jamais fait que du bien. Donc le soldat n’est pas hyper à l’aise avec [la situation], mais bon! Il a une mission, il est obligé de la compléter!
Le noble est retranché dans une vieille tour en ruines au bord de l’océan, et il propose un marché au jeune officier. […] C’est le soir, et pendant toute la nuit il va lui raconter ce qu’il lui est arrivé de l’autre côté de l’océan quarante ans plus tôt, et si le jeune officier accepte de l’écouter, au matin le marquis le suivra sans résistance.
C’est vraiment cette histoire qui occupe le cœur du roman, c’est un voyage — c’est surtout un ouvrage sur l’île de Terre-Neuve. Il y a une poignée de survivants qui se retrouvent sur l’île, ils ne savent pas pourquoi c’est eux qui ont survécu à un naufrage […] et ils ne se connaissent pas vraiment. Ils vont essayer de traverser l’île pour rejoindre St. John’s: ils vont essayer de survivre. Peu à peu, ils se mettent à mourir les uns après les autres dans des circonstances de moins en moins naturelles et bien sûr, en se soupçonnant aussi de plus en plus. Voilà!
Une histoire qui semble très effrayante! Pourquoi situer l’histoire à Terre-Neuve, un endroit si éloigné de la France?
Dans les voyages que j’ai faits avec mes parents, on est allé au Canada plusieurs fois, j’ai été complètement tout de suite sous le charme. Notamment du côté des très grands espaces par rapport à la France: tout est vraiment beaucoup plus large, la nature est tellement plus vivante et le froid est beaucoup plus présent à certaines saisons que chez nous.
Tout ça m’a vraiment beaucoup marqué, donc je lisais des livres de légendes autochtones, des romans québécois, des romans traduits […] je lisais beaucoup là-dessus et ça fait partie des voyages qui m’ont vraiment beaucoup marqué.
J’ai aussi beaucoup découvert […] toute l’histoire des Français qui allaient à Terre-Neuve [durant le 19ième siècle]. Quand j’ai découvert ça, ça m’a passionné et quand j’ai commencé à rêver à Widjigo c’était vraiment ça la base.
C’est toutes ces histoires de Français, ces gens qui allaient à l’autre bout du monde et qui ne pouvaient même pas construire des choses qu’ils pouvaient laisser en place, mais qui revenaient quand même l’année d’après. Ça m’a complètement passionnée.
Par contre je ne m’étais jamais déplacée pour aller à Terre-Neuve. J’y suis allée il y a trois ou quatre ans pour ce roman. Quand je peux, j’aime bien aller là où se passent mes livres pour vraiment essayer de voir comment c’est sur place, pour vraiment avoir le sens des saisons, du temps et des paysages. On peut toujours évidemment se renseigner dessus [un endroit] mais pour moi ça ne remplace pas le fait d’être vraiment sur place.
Quand j’explore des pays ou des régions pour mes romans, que ce soit des coins de France que je connais par cœur ou des coins à l’autre bout du monde, j’aime partir des mythes et des légendes locales et pas juste les prendre comme un décor qu’on peut changer. Parce que pour moi chaque pays, chaque coin de terre a sa spécificité, ses propres légendes et c’est ça qui est intéressant. C’est pas juste de dire «ah bien ça c’est un joli décor et je peux y mettre n’importe quelle histoire» […] En tout cas ça ne m’intéresse pas.
C’est sur place que j’ai commencé à avoir tout le reste du livre qui s’est déployé dans ma tête et c’était génial! Pendant le retour de Terre-Neuve on avait un arrêt à Montréal, j’ai toujours un carnet de notes sur moi — celui-là était bleu — et donc pendant l’arrêt à l’aéroport je me suis mise à écrire, à écrire, à écrire! […] Voilà, je suis rentré chez moi et le roman il était là quoi.
Est-ce que le choix d’utiliser le monstre Widjigo était le résultat des lectures que vous avez mentionnées?
En fait, j’ai vraiment travaillé l’histoire du Canada en général. J’ai l’avantage d’avoir un père qui est passionné d’histoire, donc il avait ramené des livres du Canada. […] Ça a fait la base de ma documentation.
Ensuite, j’ai trouvé une vraiment très jolie librairie d’occasion à St. John’s, Elaine’s Books au centre-ville, dont j’ai ramené pas mal de livres, comme de [l’information] sur les Béothuks, c’est vraiment de la documentation qui est super dure à trouver en France.
Avec mes parents, on lisait tout ce qui était contes et légendes autochtones. [Mon livre] est vraiment partie d’une légende algonquine que j’avais lue dans un des livres qu’on avait achetés lors de notre premier voyage au Canada. Ça m’avait marquée, beaucoup de ses légendes m’avaient marquée. […] Puis aussi le Widjigo est pas mal utilisé dans le cinéma d’horreur, ou dans la littérature d’horreur.
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