IJL – Réseau.Presse – Le Gaboteur
À Flatrock, David Goodyear gère une propriété où il élabore un système de permaculture depuis 2018. Cette forme d’agriculture priorise un développement cyclique et durable, dans le but d’obtenir une certaine autonomie, surtout alimentaire. «Bien qu’une période relativement courte s’est écoulée depuis 2018, la saison estivale a considérablement changé», témoigne-t-il.
L’agriculteur explique qu’il peut aujourd’hui semer des graines en mi-avril, en raison de l’adoucissement du printemps. L’extension de la saison de croissance lui permet de plus grandes récoltes, mais les changements climatiques sont aussi parfois imprévisibles. Si l’Almanach du vieux fermier avait prévu la date du dernier gel à St. John’s pour le 11 juin cette année, un avis de gel le 27 juin, deux semaines après, lui a presque coûté sa récolte de courges.
«Malgré la météo ensoleillée, les variations ont été drastiques», dit monsieur Goodyear.
Todd Boland, horticulteur au jardin botanique de l’Université Memorial, détient une carrière en horticulture qui couvre quatre décennies. Il corrobore surtout la réalité des changements climatiques à Terre-Neuve-et-Labrador et en est d’accord avec les expériences de David Goodyear. «Pour ce qui est de St. John’s, nos étés deviennent plus secs et plus chauds», dit-il. «Les hivers, la couverture de neige est plus mince et les températures sont plus tempérées.»
Contrairement à ces perspectives locales, les données de la plus récente mise à jour des zones de rusticité au Canada, quant à elles, constatent que l’île de Terre-Neuve ne s’échauffe pas aussi vite que le reste du continent.
Collecte de données
Pour toute personne espérant cultiver un jardin au Canada, les zones de rusticité des plantes sont une ressource indispensable. Les zones de rusticité des plantes servent à identifier, grâce à l’analyse de plusieurs données météorologiques, quelles espèces de flore s’épanouissent dans quelles régions du pays. Mais la portée des données dépasse la limite de son arrière-cour. Dan McKenney et John Pedlar, chercheurs scientifiques au Centre de foresterie des Grands Lacs en Ontario à la tête de la mise à jour de la carte des zones de rusticité des plantes, expliquent que les données recueillies permettent aux lecteurs de comprendre également le climat des régions sauvages du pays.
Les zones commencent avec le 0a, dans l’extrémité nord du pays, et poursuivent vers le sud jusqu’à la zone 9a. Une augmentation de la zone de rusticité des plantes d’une région nécessite plusieurs adaptations au sein des agriculteurs, dont certaines plus positives que d’autres.
Le gouvernement a élaboré les premiers indices et zones de rusticité des plantes canadiennes dans les années 1960, à partir des informations météorologiques rapportées entre 1930 et 1960. Depuis, tous les trente ans, les données sont mises à jour afin de dresser un portrait fiable non seulement des zones actuelles, mais aussi de leurs tendances au fil du temps. L’analyse se fait en observant sept facteurs météorologiques, tels que le taux de précipitation entre juin et novembre, la température maximale en été et la profondeur de neige maximale.
«La grande partie du processus est la collecte de données», indique John Pedlar, qui, avec Dan McKenney comptent ensemble 50 ans de travail au sein du Centre de foresterie des Grands Lacs.
Les données viennent d’environ 1900 stations météorologiques disséminées à travers le territoire canadien, chacune dotée de sa propre équipe. La canalisation des données vers le Centre de foresterie des Grands Lacs permet leur standardisation, ce qui facilite l’éventuelle mise à jour de la carte. Après avoir jaugé la qualité des données reçues et réglé certains problèmes techniques, les scientifiques les rédigent et les publient dans un article évalué par les pairs.
Les informations prises en compte pour cette dernière mise à jour de la carte viennent des années 1990 à 2020. En ce temps, vers 80% du pays démontre une croissance de rusticité, principalement des augmentations de 0,5 ou 1 zone. Mais, en Colombie-Britannique, on remarque aussi certaines augmentations de 2 zones. Cela se manifeste dans l’attribution d’une toute nouvelle zone à l’extrémité sud-ouest de cette province, dans les environs de la ville de Victoria: la zone 9a. Dans cette zone peuvent pousser certaines espèces d’agrumes et des palmiers. C’est la première fois que cette zone est reconnue au Canada.
«Nous avons tous entendu parler du réchauffement climatique», dit John Pedlar. «Voici une représentation des effets de ce réchauffement.»
Selon la mise à jour, une grande partie de Terre-Neuve-et-Labrador, surtout le Labrador, a connu une augmentation de sa rusticité, soit de 0,5 à 1 zone. Si la Big Land éprouve une rusticité croissante, certaines régions de l’île de Terre-Neuve montrent une décroissance de rusticité. On a observé une réduction de 0,5 zone dans la région entre Gander et Whitbourne, l’une des seules réductions au pays.
Todd Boland se dit surpris par cette information. «Je n’arrive pas à comprendre pourquoi cette région de l’île serait devenue plus rude», avoue-t-il. L’horticulteur conseille de prendre le résultat avec des pincettes.
Les chercheurs du Centre de foresterie des Grands-Lacs, quant à eux, proposent une théorie possible pour expliquer l’anomalie. John Pedlar raconte que ce serait peut-être lié aux icebergs. Le nombre d’icebergs passant par les côtes de Terre-Neuve-et-Labrador au printemps a presque doublé durant la période de 1990 à 2020, en comparaison aux chiffres de 1960 à 1990. La route de ces icebergs, la célèbre «allée des icebergs», passe par la région où l’on atteste une décroissance de rusticité. Les scientifiques insistent cependant sur des recherches plus approfondies à ce sujet.

Parmi plusieurs cultures intéressantes sur la propriété de David Goodyear, il a réussi à récolter du sorgho, qui pousse normalement dans la zone de rusticité 7. La propriété de Monsieur Goodyear à Flatrock se situe pourtant en zone 5b.
L’effet sur les cultivars locaux
Le paradoxe ne devrait empêcher personne d’expérimenter dans son jardin, conseillent les scientifiques derrière la mise à jour des zones.
Les informations compilées par les stations météorologiques canadiennes présentent les zones de rusticité telles qu’elles sont de base, sans influence humaine. Dan McKenney les appelle des «habitats climatiques». En comparaison, selon lui, les jardins sont les «laboratoires d’essai» en ce qui concerne la rusticité des plantes, car la personne qui gère la propriété est capable de modifier les conditions de croissance de sa culture.
«Les humains peuvent protéger des plantes et modifier leurs habitudes d’arrosage … semer sur le côté sud versus le côté nord de [sa] maison», explique le chercheur. «Vous pouvez beaucoup faire.»
Savoir sa zone de rusticité des plantes permet donc une compréhension de base des espèces qui puissent fleurir dans un jardin, mais cela ne constitue nécessairement pas la limite de ce que vous pouvez pousser.
David Goodyear se fie à sa zone de rusticité des plantes en sélectionnant ses cultures vivaces, mais n’hésite pas à expérimenter.
«Je repousse les limites», dit-il. «J’ai réussi à hiverner des figuiers dans ma serre… malgré des données indiquant que ce ne devrait pas être possible.»
Selon lui, les mises à jour de la carte des zones de rusticité des plantes reflètent l’actualité du climat canadien.
Les chercheurs du Centre de foresterie des Grands-Lacs prévoient encore du réchauffement dans la prochaine édition de la carte, qui serait élaborée à partir des données des années 2020 à 2050.
«Même si nous progressons dans la lutte contre le changement climatique, si nous continuons à brûler des combustibles fossiles, les changements pourraient être plus importants que ceux que nous avons observés dans cette dernière mise à jour», avertit John Pedlar.
David Goodyear n’est pas la seule personne repoussant les limites de croissance dans son jardin à Terre-Neuve-et-Labrador. Ce qui l’attire est la possibilité de diversifier sa récolte, ainsi que d’accéder à des aliments qui ne sont pas forcément disponibles à l’épicerie. Dans le groupe Facebook «Backyard Farming & Homesteading NL», on compte plus de 61 000 agriculteurs à Terre-Neuve-et-Labrador. Ils partagent régulièrement les cultures uniques qu’ils ont réussi à faire fleurir. Voici une liste des récoltes surprenantes de la province.
Nom | Région | Culture |
Kim Whitfield | Topsail/CBS | Pêche |
Jeff Harris | Clarenville | Noisette, noix de grenoble japonais, raisin |
Carl Harris | Péninsule du Burin, sud | Menthe et estragon hivernés en serre |
Tonia Grandy | Péninsule du Burin | Raisin, kiwi |
David Goodyear | Flatrock | Amarante, sorgho, figue |
Elizabeth Branton | Whitbourne/Dildo | Raisin, kiwi |