Un légume vert récolté dans les profondeurs maritimes? Pas du tout. C’est une holothurie, de la famille des échinodermes, des noms barbares pour un animal vivant dans les fonds marins.
Le concombre de mer est une véritable usine de traitement du sable dont il se nourrit pour en extraire les matières organiques. Après avoir avalé le sable sur lequel il rampe, le concombre le rejette par l’anus. Le sable ressort tout propre, débarrassé de ses impuretés. Le concombre sert aussi d’abris pour les poissons voisins. La description détaillée de la bestiole me fait évidemment penser aux vers rencontrés dans le film Dune, la monstruosité en moins. Il semble que la chair de ce boudin visqueux à la couleur indéfinissable soit consommée sous toutes formes de cuisson, friture, bouillon, marinade. Il peut être aussi séché ou proposé sous forme de potage. Une des raisons de son succès? Vous vous en doutez! La bête serait aphrodisiaque. Détail amusant, plus les piquants dont elle est couverte sont nombreux, plus elle a de valeur et donc, plus elle est vendue cher. Par ailleurs, les Saint-Pierrais l’ont affublée d’un nom particulièrement vulgaire que je ne me permettrai pas de répéter ici mais disons que c’est une allusion crue aux attributs masculins.
Notre dent occidentale le trouvera caoutchouteux au goût d’algue putréfiée tandis que notre nez de gourmet se retroussera à l’odeur de ce mets dont l’aspect nous semble répugnant, selon les standards de notre cuisine. C’est la raison pour laquelle le produit de la pêche au concombre de mer ne se retrouve pas dans nos rayons bien qu’il soit très présent dans nos eaux territoriales.
Gastronomie orientale, industrie locale
Ainsi, cette denrée est tout de même pêchée dans nos fonds afin de l’exporter vers les pays pour lesquels elle représente un des délices de leur gastronomie. C’est un véritable caviar acheté au prix fort, les gisements orientaux ayant été évidemment surexploités. Les bateaux terre-neuviens, saint-pierrais et miquelonnais se sont lancés dans l’aventure «concombre de mer». À Saint-Pierre et Miquelon, l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer, l’équivalent de Pêche et Océans Canada (MPO), a développé un programme scientifique pour évaluer la ressource, grâce, entre autres, à un équipement de haute technologie mais aussi à l’intelligence artificielle. Il ne s’agirait pas de faire la même erreur qu’avec la morue et de tarir le précieux gisement.
Hélas, tout n’est pas rose au pays du concombre de mer. L’usine de Miquelon devait prendre en charge le traitement de cette pêche lucrative mais a connu des soubresauts obligeant les pêcheurs à livrer leur cargaison à Terre-Neuve. De nouvelles taxes douanières imposées par la Chine, créent des tensions. Enfin, le traitement du concombre, côté îles françaises, est assujetti aux lois sanitaires et vétérinaires européennes, ce qui rend sa commercialisation complexe voire impossible sous drapeau français.
Des conflits apparaissent. L’histoire commune des deux régions a connu plus d’une friction mais cette fois-ci la crispation a eu lieu entre les pêcheurs de la péninsule de Burin et un bateau de Saint-Pierre, le Marcel-Angie III. Celui-ci devait vendre sa cargaison à une entreprise groenlandaise qui proposait un prix inférieur à celui proposé aux pêcheurs canadiens. Ainsi, le capitaine du Marcel Angie III a renoncé à ses captures qui ont été rejetées à la mer. Si les pêcheurs de Terre-Neuve sont heureux de ce dénouement puisque cela leur permet de soutenir leur activité, il est évident que pour le capitaine du Marcel Angie III, c’est une dure déception d’autant plus qu’il ne veut pas créer de conflits avec ses voisins.
Il serait dommage que cette drôle de bestiole, qui fait le bonheur des papilles asiatique et de leur imaginaire, fasse le malheur de nos frontières. De mon côté, un filet de morue fraîchement pêché puis sauté à la poêle me ravira bien plus qu’un morceau de concombre de mer malgré ses promesses sujettes à caution de septième ciel!