ABC 2022

A-Abeilles

En raison de sa situation géographique, Terre-Neuve-et-Labrador s’inscrit toujours comme l’un des derniers bastions résistant à Varroa destructor, un acarien parasite qui ravage les ruches de la planète. Mais pour combien de temps ?

Magazine d’été 2022

Abeilles

La fin de la lune de miel ?

Un texte de Marie-Michèle Genest

Terre-Neuve-et-Labrador abrite moins de 1000 des quelque 800 000 colonies d’abeilles domestiques du Canada. Un grain de pollen dans la filière du miel au pays.  Qu’importe, les 130 apiculteurs de la province jouent un rôle crucial dans la préservation de ces indispensables pollinisatrices.  Et certains d’entre eux le prennent très au sérieux.

C’est le cas de Peter Armitage, qui opère la production artisanale Four Cousins Honey sur la péninsule de Bonavista. Il s’est penché sur ce monde minuscule il y a sept ans. « J’étais curieux car les abeilles domestiques sont une espèce vraiment fascinante », révèle cet apiculteur-anthropologue qui admire l’esprit communautaire et démocratique de ces butineuses. « Il n’y a pas de Vladimir Poutine chez les abeilles! Même la reine n’est pas un dictateur, c’est la colonie dans sa totalité qui décide », relate-t-il.  

Depuis l’installation de ses premières colonies, Peter Armitage ne cesse d’apprendre, subjugué au quotidien par le comportement complexe et étonnant de ses protégées. « La chose la plus importante que les abeilles peuvent nous apprendre, c’est l’humilité. Nous ne sommes pas vraiment les maîtres des abeilles. C’est une coopération, une coexistence. On fait vivre nos abeilles, mais elles sont à moitié sauvages. Elles sont complexes, et cette complexité devrait nous rendre encore plus humbles », reconnaît-il.

Avec le temps, il a aussi réussi à garder ses abeilles en vie, malgré le mauvais temps du printemps et le manque de pollen et de nectar à certains moments de la saison apicole.

Inspection printanière des ruches par deux des cousines de Four Cousins Honey. Crédit : Peter Armitage

« Nous n’avons pas ici de grands champs de cultures qui produisent des fleurs, comme le canola, ni de pratiques agricoles qui permettent de couvrir les bords des champs et les routes d’accès avec de grandes quantités d’espèces florales. En conséquence, les apiculteurs d’ici peuvent produire seulement 35 livres de miel par colonie, contre 200 dans le sud de la Saskatchewan », explique-t-il.  

Menace 

C’est toutefois la menace bien réelle de l’arrivée du varroa à Terre-Neuve qui inquiète Peter Armitage au plus haut point et il ne peut s’empêcher de faire un lien entre cet indésirable et la COVID-19. « La transmission de ce parasite est très rapide et ça prend juste une seule femelle varroa pour infester la totalité de notre cheptel », souligne-t-il, en observant les dommages funestes causés dans les colonies d’abeilles domestiques ailleurs au Canada. 

Incapable de rester les bras croisés, Peter Armitage a participé à l’élaboration du Plan d’action contre le varroa de l’organisme Beekeepers NL, paru en septembre 2020. Ce plan propose de nombreuses recommandations afin d’empêcher l’introduction d’abeilles malades dans la province et pour intervenir rapidement en cas de crise. 

Mais ce document n’a pas suscité les actions urgentes espérées par Peter Armitage. « Le gouvernement provincial a été lent à répondre à cette menace et il n’y a pas assez d’apiculteurs qui sont intéressés à vraiment faire un effort pour empêcher le varroa d’entrer ici », déplore-t-il. La récente annonce du gouvernement provincial concernant les améliorations apportées à la loi sur la santé et la protection des animaux, qui inclut les abeilles, lui donne un peu d’espoir, même s’il continue à nourrir de grandes inquiétudes quant à l’efficacité de ces améliorations et d’autres mesures de biosécurité concernant Varroa.

« Ça prend juste une seule personne qui fait une importation illégale et c’est la fin pour tout le monde. Il faut donc la participation de 100 % des apiculteurs », rappelle  Peter Armitage.  Ayant observé les humains toute sa vie, l’anthropologue connaît bien le visage de l’Homo destructor.  « On ne peut pas contrôler le comportement de cette maudite espèce humaine ! » s’exclame-t-il. 

Inspiration 

Il espère malgré tout retrouver chez tous les producteurs de miel de la province l’unicité et le même sens du bien commun qu’il observe chez les abeilles de ses 14 colonies. Pour que nous puissions continuer à nous délecter de ce précieux nectar doré produit dans les ruches de la province, au goût subtil de fleurs sauvages, de pissenlits, de fleurs d’érables, de trèfle blanc et de verge d’or. Pour que subsiste le fragile équilibre des écosystèmes. Et pour que ses quatre petites-filles, qui incarnent les cousines de Four Cousins Honey, puissent continuer à s’extasier devant le miracle de la nature à travers l’apiculture.


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