«Je suis un artiste assez éparpillé», a dit monsieur Magnin en se présentant lors de son entrevue. En plus d’être cinéaste, il porte également les chapeaux de romancier, de dramaturge et de musicien, entre autres. Aventurier, il s’est lancé dans le cinéma en 2013 lors d’un voyage en Bulgarie.
«J’avais amené un caméscope», décrit-il. «Dans des sites écologiques en Bulgarie, j’ai commencé à tourner.» Il enchaîne un deuxième long métrage, tourné cette fois-ci en Arménie, quelques semaines plus tard.
Le long des douze ans suivants, sept autres films ont vu le jour, la moitié d’entre eux portant sur ce que Magnin décrit comme «la résilience collective». Si sa longue carrière en psychothérapie lui a permis d’interroger la résilience individuelle, son désir inconscient d’élargir son focus, ainsi que ses expériences en Arménie, lui ont fourni comme fil conducteur la résilience des peuples qui ont beaucoup souffert.
«L’audiovisuel devient quasiment indispensable», estime le cinéaste. Selon lui, si on veut toucher beaucoup de gens, on doit se tourner vers cela.
La réalisation de ses films est pourtant atypique, influencée par son esprit artistique et son mode de vie. Écologiste, il se déplace vers de nouvelles régions en vélo ou bien en trottinette. Il précise aussi qu’il ne prémédite pas beaucoup de ses projets, préférant se lancer dans un projet sans attendre. Comme résultat, Monsieur Magnin n’est pas capable d’exploiter les voies traditionnelles de financement pour ses projets ni d’engager d’équipiers.
Le cinéaste précise cependant qu’il n’est pas seul en réalisant un long métrage. Ses films documentaires regorgent de témoins, qui deviennent sa compagnie le long du tournage. L’un des trois films projetés à St. John’s, Un mur dans ma tête, compte par exemple une vingtaine de personnes remerciées dans son générique de fin.
Contrer la propagande avec le cinéma
Si Hervé Magnin est de passage à Terre-Neuve-et-Labrador, c’est à cause de son amitié de longue durée avec Helen Forsey et Barry Darby. Les deux militants locaux se sont récemment rendus en France et ont proposé qu’il vienne en tournée sur le vieux Rocher.
La première projection s’est déroulée au Lantern, dans le quartier de Georgestown à St. John’s. Monsieur Magnin explique que le choix du film est souvent laissé aux spectateurs. Les patrons du Lantern ont voulu visionner Un mur dans ma tête, un film qui discute du conflit israélo-palestinien. Il a tourné le film en 2018, à l’occasion du 70e anniversaire de la fin du mandat pour l’administration britannique de la Palestine. D’un côté du mur, des Israéliens célèbrent leur journée nationale de l’indépendance. De l’autre côté, des Palestiniens en deuil se souviennent du Nakba.
Pour Magnin, le désir d’aborder ce sujet remonte à ses découvertes sur la résilience des peuples en Arménie. Il se rappelle une conversation avec son guide kurde, lors de laquelle il s’est rendu compte qu’il pouvait facilement tourner un documentaire qui portait sur la lutte kurde, ou bien sur d’autres peuples opprimés. Le cinéaste décrit savoir «un peu dès le départ» que le conflit israélo-palestinien figurerait un jour dans un film.
Avant tout, Monsieur Magnin veut contrer la propagande bien répandue des deux côtés du conflit. Il s’est donc rendu sur place dans le but de présenter la réalité.
Parmi les personnes interviewées est Nurit Peled-Elhanan, qui étudie des manuels scolaires israéliens. Elle témoigne de la présence de la propagande dans des livres destinés aux enfants dans la maternelle, à qui l’on enseigne que «l’Arabe n’existe pas… l’Arabe est un problème à résoudre.»
Le contexte d’aujourd’hui
Bien qu’il s’est bien informé avant son départ, Hervé Magnin avoue avoir ses propres biais propalestiniens en arrivant en région. À son arrivée, il se rend compte que les deux peuples souffrent, ce qui lui a poussé à donner la parole aux deux côtés. C’est compliqué pour les deux côtés. Le cinéaste explique que le film représente souvent un moment de découverte pour des spectateurs, avançant un nouveau point de vue sur les Israéliens.
«Les personnes que j’ai interviewées sont incroyables», soutient-il. «D’un courage et humilité et capacité de résilience extraordinaire. [Ils sont] dévoués à la paix. Pour ceux qui voient le conflit, surtout à travers un prisme propalestinien, cela demande de comprendre la souffrance des Israéliens aussi, ce qui est souvent sous-estimée.»
Cette réflexion est d’une haute pertinence en s’approchant au deuxième anniversaire de l’éclat de la Guerre de Gaza, le 7 octobre 2023. Si une vague de pays occidentaux, y compris la France et le Canada, a enfin reconnu l’État palestinien lors de la 80e Assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre dernier, Hervé Magnin voit l’annonce comme un geste «essentiellement symbolique.»
Le cinéaste qualifie cette reconnaissance de première étape, comme l’avait fait le président français Emmanuel Macron, mais il déplore le manque d’actions. Il croit que l’occident est très «ambiguë et assujetti» en ce qui concerne la résolution de ce conflit.
«C’est extrêmement difficile d’être optimiste dans cette situation», divulgue-t-il. Il espère néanmoins qu’un jour une paix arrivera dans cette région.
La projection de deux autres films réalisés par Hervé Magnin est prévue la première semaine d’octobre. En partenariat avec l’Association communautaire francophone de St-Jean, il propose une projection de son film Être ou ne pas être saami le samedi 4 octobre, à 18h au Centre scolaire et communautaire des Grands-Vents. Rendez-vous également le dimanche 5 octobre à 19h au Chalet du complexe récréatif Stiles Cove pour la projection de la version anglaise de son film Ça en fait une trott’, What a Way to Go.