Cette entrevue a été révisée pour des raisons de longueur et de clarté.
Le Gaboteur (LG): Comment est-ce que les traditions guinéennes de la danse et des arts influencent votre carrière comme artiste au Canada aujourd’hui?
Aly Keita (AK): C’est là-bas que j’ai tout appris, c’est là-bas que tout a commencé. Donc c’est quelque chose qui ne va pas disparaître, ça va être toujours là, ça va s’améliorer, il va y avoir vraiment comme d’autres expériences qui vont venir s’ajouter à ça, mais ça va rester quand même en majorité, cette influence qui sera toujours là.
LG: Pendant le Festival de la Nouvelle Danse, vous allez mener un atelier bilingue sur la danse africaine. Qu’allez-vous enseigner?
AK: C’est un atelier de rythme, danse, mouvement. Précisément, c’est la danse doundounba. C’est l’une des danses traditionnelles de la Guinée, précisément de la Haute-Guinée. Le doundounba a été créé dans un petit village qui s’appelle Amana. Il y a une cinquantaine de variations des rythmes doundounba. Dans cet atelier, j’en ai choisi un.
C’est un atelier vraiment sur l’initiation parce que c’est une culture aussi, voilà, à chaque fois que je vais dans un endroit où je n’ai jamais été, ce que je veux c’est vraiment de faire comprendre cette culture, leur rapport entre le rythme et le mouvement, donc ça c’est des choses qui sont les bases à comprendre d’abord avant de rentrer dans la danse africaine.
On dit que celui qui connaît le rythme et la musique, c ‘est lui qui danse le mieux. Et moi, j’essaie de transmettre le mieux possible toutes les connaissances en ce sens-là pour que les participants puissent quand même partir avec quelque chose, qu’ils apprennent, mais aussi gagner une autonomie.
La chose que j’aime le plus c’est quand je vois les participants aussi se laisser aller. Dans tous les ateliers que je donne, à la fin, j’ouvre un cercle dans lequel les participants aussi s’expriment de leur façon. Donc je pense que c’est la meilleure partie pour moi parce que je suis là pour leur enseigner quelque chose, mais leur voir aussi en train d’essayer de donner de leurs propres, voilà, inspirations là-dedans. Ça, c’est quelque chose que j’aime le plus voir.
LG: Pourriez-vous parler de l’inspiration derrière le spectacle Altération, que vous interprétez avec Kira Arts?
AK: C’est vraiment une œuvre qui m’a inspiré sur mon parcours – tant humain, que interdisciplinaire. Il y a beaucoup d’influences qui m’ont amené à créer ce spectacle, à l’image aussi de la compagnie Kira, parce que la compagnie Kira est une compagnie aussi pluridisciplinaire, inclusive, donc diversifiée. Et cette œuvre, il fallait le faire, tu vois, en ce sens-là. Et ça montre aussi le cheminement qui nous permet vraiment de nous transformer en tant qu’être humain à travers les rencontres. Et si je regarde mon parcours depuis la Guinée, passé par le Sénégal, venir ici au Québec, aller à Nunavut, Iqaluit, j’en ai rencontré plein de personnes qui viennent de différentes parties du monde. Et à chaque fois, les rencontres m’ont toujours marqué, m’ont toujours forgé. Et cette œuvre-là, ça a été créé vraiment en ce sens.
LG: Le matériel promotionnel de cette interprétation pose les questions suivantes: «Comment est-ce que nos vies s’entrelacent? Comment arrive-t-on à bâtir des équilibres prospères? Qu’est-ce qui arrive quand ils tombent en panne?» Comment cette interprétation traite-t-elle ces questions?
AK: Ça se voit tant sur la scène, tant dans la lumière, tant dans les séquences, que dans la musique. Comme je viens de dire, là-dedans, il y a beaucoup de transformations. C’est quand on regarde la dimension musicale: la musique est bâtie sous beaucoup d’influences, par exemple occidentales et africaines. Le violon, le violoncelle, qui arrivent quand même à transformer des rythmes qui sont joués par les djembés, ce sont des instruments percussifs. Et là-dedans, on voit aussi que les corps se déploient dans l’espace de plusieurs façons qui leur permettent vraiment de transiter d’un cycle à l’autre. Ce qui nous permet vraiment d’aller chercher chaque personne dans son identité et d’en donner et d’en démontrer aussi nos différents parcours en échange.
LG: Le matériel promotionnel met également l’accent «les dimensions écologiques et spirituelles». Comment peut-on représenter l’écologie et la spiritualité en danse?
AK: Ça a toujours été l’écologie, la spiritualité. La danse, c’est la spiritualité. C’est naturellement comme ça. La danse, c’est ça. La musique aussi. L’art, en général, c’est la spiritualité. L’art vient de là. Chez nous, on dit que les instruments appartiennent aux djinns. Les djinns, ce sont des esprits. Et la danse aussi existe dans cette dimension-là. Donc, la spiritualité, elle est là. L’écologie aussi. L’écologie, si on regarde la dimension écologique là-dedans, ce sont des choses qui naviguent en même temps. Ce sont des cycles. Et moi, dans l’œuvre, vraiment, on sent du point de vue musical, parce que dans la chorégraphie, moi, je commence par composer le son. Et quand tu es dans la pièce, tu entends des sons qui viennent chercher, qui viennent t’amener là-dedans. La chorégraphie est accompagnée par des éléments sonores qui permettent vraiment de rentrer dans une dimension spirituelle. Et c’est ce qui détermine les actions aussi qui se font et qui se déploient sur la scène. Dans la dimension écologique aussi, tout se détermine dans le son aussi, parce que quand on entend le son, ça nous permet d’aller chercher encore plus, d’aller chercher la compréhension de qu’est-ce qui se passe et c’est ça que le corps définit.
LG: Quelle impression ou impact espérez-vous livrer au public qui visionne votre spectacle?
AK: Dans chaque pièce d’ailleurs que j’écris, j’aimerais que le spectateur vive l’expérience, la ressente. Pas juste venir voir, mais il faut que tu la sentes avec nous, tu vis avec nous le spectacle. Le spectacle est fait exprès pour ça. Les éléments sonores qui sont présents vont aller chercher le spectateur à plonger dans le même état d’esprit que nous. C’est ce qui permet au spectateur de se laisser plonger et d’être capté par ce qui se passe, par ce moment-là.