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Facebook: la compagnie de tabac des années 2020?

Effets nocifs du produit. Recherches scientifiques dissimulées par la compagnie qui est derrière ce produit. Jusqu’où les parallèles entre Facebook et les compagnies de tabac vont-ils conduire?

Pascal Lapointe
AGENCE SCIENCE-PRESSE

Toute comparaison a ses limites, mais les révélations des dernières semaines autour de Facebook semblent avoir ouvert les vannes: chez les élus des deux partis politiques américains tout comme dans les médias de toutes tendances, les critiques indignées pleuvent cette semaine sur la plateforme. Alimentées en partie par le fait que ces révélations contiennent un facteur inédit: selon l’analyse du magazine Vox, jamais un lanceur d’alerte n’était arrivé avec autant de documents appuyant ses dires. 

Il y a un mois, le Wall Street Journal publiait un reportage en cinq parties — appuyé sur des dizaines de milliers de pages de ces documents internes — portant sur ce que savait la compagnie sur son rôle dans la dissémination des fausses nouvelles sur les vaccins, sur les effets d’Instagram sur la santé mentale des adolescentes, ou sur l’utilisation que font de la plateforme des groupes criminels. 

La lanceuse d’alerte, qui était alors anonyme, est sortie de l’ombre dimanche, dans une entrevue à l’émission d’information 60 minutes: Frances Haugen, analyste des données qui a travaillé chez Facebook pendant deux ans, jusqu’en mai dernier, y parle d’une culture délibérée de mensonge et de dissimulation, chaque fois que la plateforme tente de minimiser son rôle dans la propagation de propos haineux ou violents, mensongers ou carrément dangereux pour la démocratie ou pour la santé publique. 

«Lorsque nous vivons dans un environnement informationnel qui est rempli de colère, de haine, de contenus polarisants, ça érode notre confiance civique, notre foi envers les autres, notre capacité à se soucier des autres. La version de Facebook qui existe aujourd’hui déchire nos sociétés et cause des violences ethniques à travers le monde.»

 Et s’il en est ainsi, c’est parce que les contenus polarisants sont plus lucratifs, pour- suivait-elle sur 60 minutes: «Facebook a réalisé que s’ils changent l’algorithme pour le rendre plus sécuritaire, les gens vont passer moins de temps sur le site, ils cliqueront sur moins de publicités, et [la compagnie] va faire moins d’argent.» 

Facebook avait répliqué le mois dernier aux reportages du Wall Street Journal en les accusant de contenir de nombreuses «interprétations erronées». Depuis, les discussions vont bon train dans les médias spécialisés sur la portée qu’auront ces révélations, notamment au niveau politique. 

Mardi, Haugen apparaissait devant la Commission du commerce du Sénat, qui pourrait être la première étape d’une éventuelle législation encadrant les réseaux sociaux. «Lorsque nous avons réalisé, a-t-elle raconté, que les compagnies de tabac dissimulaient leurs torts, le gouvernement a dû agir. Lorsque nous avons réalisé que les automobiles étaient plus sécuritaires avec des ceintures de sécurité, le gouvernement a dû agir.» 

Quel lien entre la cigarette et Facebook? 

Le parallèle avec les cigarettiers est avancé depuis longtemps par des militants, des universitaires et des élus, pour qui Facebook est «nocif» et crée une «dépendance» chez ses usagers. Mais le parallèle s’enrichit à présent d’un élément plus troublant: des études réalisées par la compagnie elle-même. 

Comme les procès du tabac l’avaient démontré dans les années 1980, les compagnies de tabac savaient que leur produit était nocif depuis les années 1950, grâce à leurs propres recherches scientifiques — et elles avaient délibérément caché ces informations à leurs actionnaires, aux fumeurs et au public en général. Même si Facebook n’a pas une aussi longue histoire derrière elle, elle se retrouve à présent obligée d’expliquer ce qu’elle savait sur les torts qu’elle cause, et depuis combien de temps elle le savait. Par exemple:

  •  en dépit de ses affirmations répétées à l’effet qu’un grand nombre d’informations fausses sur les vaccins auraient été retirées de la plateforme, cela ne représenterait que de 10 à 15% des messages en question;
  • bien que la compagnie ait modifié la programmation de ses fils de nouvelles à l’approche des élections américaines de 2020, afin de diminuer la désinformation, immédiatement après l’élection, elle a ramené le tout à ce que c’était avant. Dans les documents soumis, on trouve des messages internes d’employés qui s’inquiètent du rôle que cela aurait pu avoir dans l’insurrection du 6 janvier à Washington; 
  • à ce sujet, une étude interne révèle qu’il a suffi d’une semaine pour que l’algorithme recommande du contenu QAnon à des nouveaux comptes créés à seule fin de cliquer sur des contenus campés à droite, mais «vérifiés» (Fox News, Trump, etc.); 
  • la pression des pairs sur Instagram amplifierait les problèmes de santé mentale des adolescentes, au point où, selon une étude interne, 13,5 % d’entre elles auraient attribué leurs pensées suicidaires à la plateforme de photos, et 17 %, leurs troubles alimentaires. C’est cette dernière révélation qui avait entraîné la convocation de Frances Haugen à cette audience du Sénat. Et Facebook avait refusé de soumettre cette étude aux élus américains qui en avaient fait la requête, lors d’une audience en mars. 

La panne générale de Facebook, d’Instagram et de WhatsApp — qui font partie de la même compagnie — survenue lundi n’a pas manqué d’être utilisée par les critiques de longue date de la compagnie, et par Mme Haugen devant les sénateurs: «pendant plus de cinq heures, Facebook n’a pas été utilisée pour grossir les divisions, déstabiliser des démocraties et amener les femmes et les jeunes filles à se sentir mal à propos de leurs corps».

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