De nombreux parents francophones à Terre-Neuve et au Labrador élèvent leurs enfants sans le soutien de leur proches, bien souvent expatriés de leur province ou pays natals pour le travail, ou pour y suivre l’âme soeur. Incursion dans l’univers de la parentalité loin de la parenté, en milieu francophone minoritaire de surcroît.
Témoignages recueillis par Marilynn Guay Racicot
Élever mes enfants loin de mon « village »
Sans se connaître, Stéphanie, Marie-Pier et Catherine ont beaucoup en commun : mères francophones établies dans la capitale, ces femmes ont toutes trois donné naissance à au moins un enfant à des milliers de kilomètres de leur propre famille. Comment ont-elles vécu le passage de la cigogne sur leur roche d’accueil?
Marie-Pier Bouchard : Donner naissance entre deux provinces
En 2016, lorsqu’ils ont entrepris de fonder leur famille qui compte aujourd’hui trois gamines de moins de quatre ans, Marie-Pier Bouchard et son conjoint habitaient la ville de Québec. Les grands-parents se trouvaient alors à trois heures de route. Pas la porte d’à côté, mais pas trop loin non plus, ce qui permettait à la grand-maman paternelle de passer régulièrement quelques jours chez eux pour s’occuper des deux fillettes.
En mai 2018, la famille de quatre, bientôt cinq, déménage son nid à Terre-Neuve, papa ayant décroché un poste intéressant à St. John’s. En dépit de sa bedaine rebondie, Marie-Pier ne lésine pas : dès son arrivée, elle enchaîne les démarches afin de trouver rapidement un médecin pour assurer le suivi de sa grossesse. Une expérience pas si simple et plutôt stressante, confie la maman, qui a dû gérer beaucoup de paperasse avec la Régie de l’assurance maladie du Québec. « C’était l’aspect le plus effrayant d’arriver dans une autre province pendant mon troisième trimestre de grossesse. Je devais payer les factures, puis les envoyer au Québec avec des pièces justificatives pour obtenir un remboursement. »
Malgré cet épisode plus difficile, Marie-Pier rapporte une expérience d’accouchement positive, même en anglais langue seconde! « Puisque j’étais francophone, le personnel soignant s’assurait qu’on se comprenne bien et qu’on soit sur la même longueur d’onde. » Coup de chance : une des infirmières qui l’accompagne parle français et lui offre même de s’exprimer dans la langue de son choix. Le couple a aussi pu compter sur le soutien de grand-maman venue passer quelques jours à Terre-Neuve expressément pour prendre soin des gamines au moment de la naissance. « Sans ma belle-mère, mon conjoint aurait dû rester à la maison pour s’occuper des aînés pendant l’accouchement », affirme Marie-Pier.
Avec deux fillettes en bas âge et un nouveau-né, la famille a dû aller chercher de l’aide : Marie-Pier et son conjoint ont déniché une jeune terre-neuvienne issue de l’immersion francophone. Une personne pour s’occuper des plus grandes afin de permettre à maman de souffler.
Bien sûr, l’absence de soutien familial rend le quotidien des jeunes parents plus complexe. Mais ces derniers ont très vite senti le fameux « village » leur tendre la main. À peine étaient-ils emménagés que voisins et collègues les informent des activités familiales et des ressources offertes dans la région. « En termes d’isolement, le choc a été moins grand de déménager à Terre-Neuve que lorsqu’on est parti de la ville où on a fait nos études pour s’installer à Québec », illustre Marie-Pier, soulignant l’accueil légendaire des Terre-Neuviens.
Quoiqu’éprouvant pour tous les membres de la famille, l’éloignement a eu pour effet de souder le noyau familial. « Au Québec, dès qu’on avait un long week-end ou des vacances, on passait beaucoup de temps sur la route afin rendre visite aux grands-parents. Depuis qu’on est ici, on fait plus d’activités familiales, juste tous les cinq. Ça nous a beaucoup rapprochés », se réjouit la maman.
Stéphanie Purdy : Loin des yeux, loin de la langue
C’est l’amour qui a fait migrer Stéphanie Purdy à St. John’s en 2009. Au cours de cette décennie passée dans la ville à plus à l’est du pays, la Québécoise a donné naissance à trois « frewfies », pour French Newfie, comme elle s’amuse à surnommer ses enfants dont le papa anglophone est terre-neuvien. Si elle s’estime très choyée d’avoir le soutien de sa belle-famille, Stéphanie constate que l’éloignement de sa famille francophone a rendu plus difficile la transmission de sa langue maternelle.
L’anglais est la langue première de Nathaniel (6 ans), Alexia (5 ans) et Gabriella (5 mois), bien que la petite dernière en soit encore aux gazouillis. C’est un choix que le couple exogame a fait pour faciliter la communication entre tous les membres de la famille, après avoir tenté d’élever l’aîné dans les deux langues.
Toutefois, Stéphanie avoue avoir eu du mal à se faire à l’idée que ses enfants grandissent dans un environnement où ils n’ont pas accès à ses racines francophones. « L’un des plus gros chocs a été de constater que c’était difficile de continuer avec le français. Comme si une partie de mon identité manquait tout à coup », raconte-t-elle.
Des coucous virtuels et des visites de la parenté québécoise ont bien sûr toujours gardé les enfants de Stéphanie en contact avec le français. Alors qu’elle vient de donner naissance à sa troisième, la maman est plutôt optimiste : « Depuis qu’il fréquente l’école des Grands-Vents, mon plus vieux a fait des progrès énormes en français! » À Noël, en visite au Québec, il a d’ailleurs surpris tout le monde par la maîtrise de sa deuxième langue. Cela a également contribué à resserrer les liens entre Nathaniel et sa famille sur le continent, ce dernier démontrant de plus en plus d’intérêt à découvrir son héritage québécois. Enfin, un soulagement pour Stéphanie, qui ne craint plus que le français soit relégué aux oubliettes par ses petits « frewfies ».
Catherine Lalonde : Voir grandir en virtuel
Sa grossesse a fait les manchettes du journal de l’Université Memorial (MUN) en septembre dernier, à la veille de son accouchement. Modèle positif pour les femmes dans le monde académique, l’archéologue Catherine Losier a traîné, sous ses habits, son poupon en devenir lors de fouilles sur le terrain.
Celle qui se définit comme « carriériste » n’envisageait pas être aussi bouleversée par la maternité. Enchantée par son nouveau rôle qui l’amène à réfléchir sur la parentalité dans un contexte d’éloignement de la famille, elle partage ses réflexions avec beaucoup d’enthousiasme. Les répercussions de fonder une famille loin de font partie de ses préoccupations de nouvelle maman. « J’ai moi-même grandi en région éloignée. Comme enfant, je ne réalisais pas l’importance de bâtir des liens avec les membres de la famille élargie », dit la Québécoise née sur la Côte-Nord et ayant grandi à Fermont. Ses parents, tout comme Catherine et sa soeur, s’étaient forgé un réseau d’amis, une deuxième famille par amitié, à défaut de pouvoir compter sur la présence de leurs proches.
C’est un peu ce que Catherine et son conjoint Nicolas ont reproduit ici. Depuis quatre ans, ils ont tissé des liens solides avec une bande d’amis francophones, « pas mal tous des expats eux aussi », avec qui ils envisagent faire du troc familial, sous forme de gardiennage par exemple.
« Malgré tout, les amis ne remplacent pas les liens avec la famille », constate aujourd’hui Catherine, devenue maman à son tour à mille lieues de ses parents au Québec, mais aussi de ses beaux-parents qui habitent en France. Même si les grands-parents les appuient dans leur décision de fonder leur famille à Terre-Neuve, Catherine et Nicolas trouvent difficile de les priver, en quelque sorte, du petit Victor, et vice-versa.
De nos jours, l’Internet et les réseaux sociaux ont le pouvoir d’amenuiser les effets de l’éloignement. Et Catherine et Nicolas savent en tirer profit : Victor a maintenant un groupe Facebook privé que ses parents ont créé afin de partager des photos avec la parenté et les amis. Et il y a aussi les appels vidéo qui permettent de passer des moments en famille, en attendant de se retrouver sur le Rocher ou sur l’un ou l’autre des continents quelques fois par année.
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