Lettres ouvertes, Opinions

Le journalisme local est en crise: voici pourquoi il faut le sauver

Depuis la publication du tout premier journal au début du 17e siècle, le mot journalisme a souvent été associé au mot «crise».
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Louise Brun-Newhook

Étudiante terre-neuvienne en journalisme

En effet, il a indubitablement survécu à de très nombreuses catastrophes ー plusieurs récessions, l’apparition de la technologie numérique, la désinformation et une pandémie mondiale, pour n’en citer que quelques-unes. De nos jours, cependant, c’est peut-être moins le journalisme en général que le journalisme local qui a le dos au mur. Bien qu’il soit en danger, penser aux conditions de sa renaissance est essentiel.

Avec la croissance rapide de l’Internet au cours des deux dernières décennies, les journaux imprimés – qui sont souvent des journaux locaux –  ont eu du mal à suivre l’obsession apparente des gens à regarder leurs écrans. Selon une étude lancée par BankMyCell, un site de comparaison américain des prix des téléphones portables, il existe 6,378 milliards d’utilisateurs de téléphones intelligents aujourd’hui, soit 80,69% de la population du monde entier. Nombreux sont ceux qui consultent les nouvelles directement sur leur téléphone.

Cette tendance se traduit notamment par des pertes de revenus et la fermeture de petites branches du journalisme, dont certaines dans le secteur des informations locales. Selon les données recueillies par le Local News Research Project, un projet de recherche visant à explorer les questions liées aux nouvelles locales, plus de 250 agences de presse canadiennes ont fermé leurs portes au cours des dix dernières années, dont 189 en région locale. C’est le cas par exemple des journaux The Western Star et Labrador Voice dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Le secteur est donc bel et bien en crise.

Mais pourquoi ce problème mérite-t-il d’être résolu? Le plus évident est que le journalisme local fournit des informations sur des régions ou des communautés qui passent parfois inaperçues sur le radar d’un grand média. En tant que tel, il arrive à restituer des nouvelles nationales dans un contexte local pour qu’elles soient plus compréhensibles pour des lecteurs situés en dehors des grandes villes.

Il peut également empêcher la diffusion de fausses informations. Aujourd’hui, il y a 50% de moins de journalistes qu’en 2008. Par conséquent, il arrive souvent que les réunions municipales et les événements locaux ne soient pas couverts par un journaliste, ce qui oblige les gens à s’informer sur Facebook ou sur d’autres plates-formes en ligne plus exposées aux fausses nouvelles.

Enfin, le journalisme local met en valeur les événements et les membres d’une région qui méritent une reconnaissance particulière, ce qui encourage l’engagement communautaire. Selon l’Américaine Penny Muse Abernathy, journaliste et professeure à l’Université de Caroline du Nord, «un journalisme local fort renforce la cohésion sociale, encourage la participation politique et améliore l’efficacité et la prise de décision des gouvernements locaux et régionaux». Les informations locales méritent donc une place parmi les autres branches journalistiques.

Mais voici la bonne nouvelle (pardonnez mon jeu de mots!): le journalisme local n’est pas totalement condamné! En fait, bien qu’il soit peut-être en déclin, certaines initiatives positives ont été mises en place ces dernières années pour s’assurer qu’il perdure. En voici au moins deux.

En 2015, la journaliste et professeure April Lingdren a créé le Local News Research Project, une initiative principalement financée par l’École de journalisme de Ryerson. Avec son équipe de chercheurs, elle utilise l’analyse de contenu et la cartographie numérique pour «explorer les questions liées aux nouvelles locales». Le site web de l’étude publie des projets, des recherches et des articles liés à l’importance du journalisme local pour tenter de convaincre les journalistes et le public de son importance et aussi afin de surveiller son évolution.

Autre initiative. En 2019, le gouvernement du Canada lançait l’Initiative de journalisme local (IJL) pour «soutenir la création d’un journalisme civique original qui couvre les divers besoins des communautés mal desservies à travers le Canada». Tout organisme de presse communautaire – anglophone ou francophone – travaillant dans la presse, à la radio, à la télévision ou dans des services d’information en ligne est invité à faire une demande de financement. Cette initiative de 50 millions de dollars a déjà permis de financer plus de 160 postes de journalistes locaux à travers tout le pays.

Le journalisme local est peut-être en crise, mais sa renaissance est absolument essentielle pour les entreprises, les gouvernements et la cohésion sociale des citoyens. Le sentiment d’appartenance à une communauté créé dans les pages d’un journal local est unique en son genre, et une grande entreprise de presse aurait beaucoup de mal à le répliquer. De plus, le gouvernement et les grandes agences de presse réalisent enfin son importance et prennent des mesures pour qu’il redevienne une branche crédible et prioritaire du journalisme. Et si ces efforts positifs continuent de progresser, dans quelques années, il sera alors possible de détacher le mot journalisme de ce sombre mot «crise».

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