Ericka Muzzo
Francopresse
«Il faut prendre ce résultat avec un grain de sel», avertit le président du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC), Stéphane Cormier, également codirecteur général et directeur de la commercialisation aux Éditions Prise de parole de Sudbury.
C’est lui-même qui a écrit à certaines maisons d’édition membres du REFC pour voir si une tendance se dégagerait au niveau des ventes. Huit lui ont répondu.
«Ce n’est peut-être pas une étude scientifique à proprement parler, lance-t-il en riant, mais ça me permet de dire que dans l’ensemble, les maisons d’édition qui ont répondu ont quand même connu une légère augmentation des ventes globalement en période de pandémie.»
Cette hausse n’est pas aussi élevée que celle relevée par Gaspard, le système d’information de la Société de gestion de la Banque de titres de langue française (BTLF), mais Stéphane Cormier note que l’année 2021-2022 s’annonce très bonne en comparaison à 2020-2021: «Je trouve ça réjouissant», s’enthousiasme-t-il.
Le REFC a d’ailleurs accueilli trois nouvelles maisons d’édition depuis le début de la pandémie: les éditions du Pacifique Nord-Ouest en Colombie-Britannique, Vidacom Publications au Manitoba et les Éditions Terre d’accueil dans l’Est ontarien, dédiées aux auteurs issus de l’immigration.
«Ça démontre un souhait et un intérêt pour que des maisons d’édition s’installent dans des régions périphériques parce qu’il y a des francophones et des gens qui ont des choses à dire, à raconter, et des gens qui ont envie de les publier», conclut Stéphane Cormier.
Le présentiel, entre espoir et incertitude
Du côté du Manitoba, la directrice générale des Éditions du Blé, Vanessa Gaillard, observe pour sa part une hausse des ventes d’environ 7% entre 2019 et 2021.
Le nombre de publications y est demeuré stable dans les deux dernières années, variant entre six et huit pour cent.
La nouvelle directrice, qui est entrée en poste en novembre 2021, espère tout de même que l’année 2022 sera la bonne pour la reprise des évènements en personne, malgré que le Salon du livre de l’Outaouais (SLO) ait annoncé en janvier un format virtuel pour une deuxième année consécutive.
L’annulation de nombreux évènements ou leur tenue en virtuel depuis le début de la pandémie a certainement été l’un des plus grands défis des maisons d’édition.
«Festivals, salons du livre, lancements et causeries où, en général, on fait quand même une certaine part de nos ventes […] en virtuel, c’est plus difficile de vendre des livres», lance Stéphane Cormier.
Vanessa Gaillard prévoit tout de même que «si le présentiel ne peut, à nouveau, pas se faire, on va essayer d’avoir plus de nouvelles virtuelles à propos des livres, des auteurs, d’avoir des vidéos».
La native de France aimerait faire découvrir davantage la francophonie hors Québec: «Peut-être qu’un jour tous les Canadiens sauront qu’on parle français en dehors du Québec! On n’est pas beaucoup, mais on est là», lance-t-elle en riant.
«Les gens sont revenus aux livres»
Pour Stéphane Cormier, la légère augmentation des ventes témoigne tout de même que la perte de revenus liée à l’annulation de deux ans d’évènements a été contrebalancée par des ventes supplémentaires en librairie ou en ligne.
«Sachant que c’était difficile d’aller voir un spectacle de théâtre, d’aller au cinéma ou d’aller voir un show de danse, une des activités culturelles disponibles c’était la lecture», lance le codirecteur de Prise de parole en guise d’explication possible.
C’est également l’hypothèse de Serge Patrice Thibodeau, poète et directeur général des Éditions Perce-Neige à Moncton: «Les gens sont revenus aux livres. Ils se sont tannés des écrans […] et je pense qu’ils ont repris l’habitude d’acheter des livres et de lire, et ça ne devrait pas s’atténuer dans les années à venir. En gros, je suis très confiant en l’avenir… C’est juste qu’on est un peu impatients – c’est comme attendre le printemps!»
Si l’écriture est une activité solitaire, Stéphane Cormier note que l’isolement a pesé sur plusieurs auteurs et autrices après plusieurs mois de pandémie: «À partir du moment où le livre est publié, tu peux voir l’impact que ça a sur les lecteurs et lectrices. Quand pendant deux ans tu n’as pas cette opportunité-là, ça peut être difficile.»
Ce qui manque le plus à Serge Patrice Thibodeau, ce sont les lancements-spectacles traditionnellement organisés par les Éditions Perce-Neige: «Ça fait deux ans qu’on n’a rien pu faire et ça, c’est triste […] On a quand même des idées pour retrouver notre public et en développer d’autres», assure-t-il.
La maison d’édition a fait le choix à la fin 2020 de ne plus s’investir dans les salons du livre virtuels parce que «ça nous demandait autant de temps [que les salons du livre en présentiel] et ça n’avait absolument aucun impact – du moins pour nous», indique le directeur.
La petite équipe n’a pas chômé pour autant: «Ça nous a permis de prendre ce temps-là et de le mettre ailleurs, pour d’autres projets», ajoute-t-il.
Il nomme entre autres un projet de développement des voix émergentes au Nouveau-Brunswick «qui connait un immense succès, ça dépasse même nos attentes».
Livres audios et balados
Depuis quelques années, les Éditions Perce-Neige offrent des livres numériques en français «même si la demande n’est pas là […] C’est tellement un beau produit, quelque chose de fascinant qu’on ne peut pas s’empêcher d’en faire!» lance Serge Patrice Thibodeau.
La maison d’édition planche aussi sur deux séries balados qui seront lancées au mois de mars, mois de la francophonie et de la poésie.
Rien n’égale les librairies
Stéphane Cormier souligne l’importance «que les gens puissent entrer dans une salle puis voir un paquet de livres en français. C’est sûr qu’on peut commander des livres sur Internet facilement aujourd’hui, mais sur plusieurs sites marchands, ce qu’on voit beaucoup c’est une offre en anglais. Beaucoup de Franco-Canadiens sont parfaitement bilingues […] donc l’offre qui nous est présentée, c’est souvent celle-là qu’on retient».
Il estime qu’avoir des points de vente où retrouver facilement de nombreux livres en français — comme la future librairie de la Place des Arts du Grand Sudbury — peut avoir un grand impact sur les habitudes de lecture en français et, ultimement, sur la pérennité des maisons d’édition franco-canadiennes.
«Entouré de livres, c’est là que tu fais des découvertes. Pour moi, c’est primordial qu’il y ait un retour d’une librairie à Sudbury – pour vendre des livres de Prise de parole et d’éditeurs franco-canadiens, oui, mais aussi des livres européens, québécois. Le simple fait de se mettre à lire, ça bénéficie à tout le monde», estime Stéphane Cormier.
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