Le ministère de Pêches et Océans Canada profita de l’occasion que représentait le Jour de la Terre, le 22 avril dernier, pour publier un rapport scientifique faisant état des écosystèmes de l’Arctique, intitulé Les océans du Canada maintenant : Écosystèmes de l’Arctique. Deux chercheurs francophones, Christine Michel et Maxime Geoffroy, ont contribué à ce rapport et commentent cette récente publication pour Le Gaboteur.
Coline Tisserand
« Depuis les trente dernières années, la perte de la superficie de la glace à la fin de l’été est équivalente à la superficie du Manitoba et du Québec réunis. L’année 2012 marque la plus faible étendue de glace enregistrée au cours des 4 dernières décennies. suivie de l’année 2019, » explique Christine Michel, chercheuse à Pêches et Océans Canada, basée à Winnipeg. Cette dernière a dirigé la section du rapport concernant la glace de mer, une composante importante pour les espèces arctiques, mais aussi pour les communautés nordiques.
L’Arctique canadien, d’une superficie de 4 millions de kilomètres carrés, représente 41% de la superficie terrestre du pays, où vivent plus de 70 000 personnes, majoritairement des Inuits. Pour comprendre cette vaste région et dresser l’état de ses écosystèmes, le rapport technique s’est basé sur les études de Pêches et Océans Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada, sur des experts externes, mais aussi sur les connaissances traditionnelles des Inuits.
Des connaissances complémentaires
D’après Christine Michel, connaissances scientifiques et inuites sont complémentaires: « On travaille main dans la main. Ce ne sont pas des connaissances qui s’opposent. Au contraire, les Inuits apportent une perspective plus locale de l’Arctique de par leur mode de vie très lié à l’environnement. Ils ont un rôle important à jouer dans la surveillance des écosystèmes. »
Le déplacement et les activités de chasse et de pêche des Inuits dépendent de l’état de la glace de mer. Tout changement de l’habitat est rapidement identifié par les communautés. Selon la scientifique, ces efforts de cogestion et de collaboration pour collecter des données en Arctique permettent d’améliorer les programmes de surveillance de la région.
Changements climatiques rapides, connaissances limitées
Cette surveillance est d’autant plus importante que les changements sont rapides et que les connaissances de cet environnement dynamique demeurent encore limitées: « Les connaissances de base de cette région sont inexistantes. Aujourd’hui, énormément d’espèces en Arctique ne sont pas encore connues. » Plusieurs raisons sont évoquées par Christine Michel pour expliquer ces lacunes, notamment la difficulté d’accès à la région, la dépendance au financement et le manque d’infrastructures.
L’étude permet toutefois de faire l’état des connaissances et des tendances actuelles des écosystèmes. « Les changements observés et mesurés dans les eaux de l’Arctique canadien sont directement ou indirectement liés aux changements climatiques, » peut-on lire dans le rapport. Perte de glace – entraînant une modification des habitats – acidification des eaux, perte de biodiversité et modification dans la distribution des espèces, font toutes partie des changements identifiés.
Changements lointains, mais bien réels
La perte des glaces ouvre la porte de l’Arctique à certaines espèces du Sud. « On observe par exemple une augmentation des épaulards dans l’Arctique. Ce genre de migration vers le nord a des impacts sur les espèces arctiques. Ils vont perturber et déranger d’autres mammifères marins, tels les bélugas, » explique la chercheuse.
Si l’Océan Arctique semble une région éloignée du reste du monde, il n’en reste pas moins qu’il est connecté au reste de la planète, comme le précise Christine Michel: « Comme ces changements sont éloignés, on pense qu’ils ne nous concernent pas. Pourtant, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, la fonte des glaciers peut être observée: de plus en plus d’icebergs sont visibles depuis les côtes. »
Terre-Neuve-et-Labrador, un témoin de premier plan
Maxime Geoffroy, chercheur au Marine Institute de l’Université Memorial, fait le même constat: « La fonte des glaciers du Groenland et dans l’Île de Baffin est plus rapide, le vêlage [la formation] d’icebergs est donc accentué. À court et moyen terme, plus d’icebergs seront visibles, ce qui pourrait contribuer au tourisme dans la province. » À plus long terme, cependant cette fonte signifie une augmentation du niveau de la mer.
L’océanographe spécialisé en écologie marine arctique a contribué au rapport en tant qu’expert externe. Il a notamment participé à l’étude de cas sur la morue arctique, espèce d’une importance primordiale dans la chaîne alimentaire. De la même famille que la morue atlantique, l’espèce est cependant plus petite et semblable au capelan.
Selon Maxime Geoffroy, Terre-Neuve-et-Labrador a une situation géographique intéressante pour comprendre les changements en Arctique : « La province se trouve à la limite sud du courant froid du Labrador, ce qui permet d’observer le chevauchement d’espèces boréales, comme le capelan, avec les espèces arctiques, telle la morue arctique. C’est une sorte de laboratoire de ce qui se passe – ou de ce qui va se passer- à plus grande échelle plus au nord. » Le rapport documente en effet la migration des espèces boréales de poissons vers le Nord.
Défis d’adaptation et de conservation
Qu’en est-il de l’état des stocks des espèces commerciales, dont certains sont pêchées par des navires basés à Terre-Neuve-et-Labrador? « Dans la Baie de Baffin, ces navires pêchent la crevette et le flétan du Groenland. Le rapport souligne que ces deux stocks sont relativement stables dans cette zone, selon le niveau de connaissances actuelles. Cependant, le rapport met aussi en lumière l’importance de continuer la recherche pour bien comprendre ces stocks, afin que ces pêcheries restent bien gérées, » détaille le chercheur.
Écosystèmes et communautés font face à d’importants défis: « Le plus grand des défis est le défi, bien réel, d’adaptation. Dans l’ouest de l’Arctique canadien, par exemple, certaines habitations sont menacées par l’érosion, obligeant les communautés à modifier leurs habitudes de vie. Il y a également un défi important de conservation, » conclut Christine Michel.
Et la pandémie dans tout cela? Pour la chercheuse, notre arrêt forcé actuel est une leçon claire des impacts humains sur l’environnement : « En Chine, après deux semaines de confinement, on a observé une diminution des gaz à effet de serre. Cette crise est un exemple concret que l’on peut changer le cours des choses face aux changements climatiques, et elle devrait guider nos actions futures. »
Pour en savoir plus: Un rapport public, d’une trentaine de pages et illustré d’infographies colorées, est disponible en français par ici. Le rapport complet de 200 pages est par là.
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