Marie-Michèle Genest
«Monsieur le coq, à partir de maintenant, chaque matin, nous allons jeter des grains de mil, de maïs, et de blé partout dans le village que vous allez pouvoir picorer à votre guise pour vous remercier», récite Navel Sarr dans la langue de Molière, les yeux plongés dans l’objectif de la caméra. Vêtu d’un boubou bleu azur s’harmonisant avec le hangar jaune et rose qui fait office de décor, ce gestionnaire informatique au Conseil scolaire francophone provincial de Terre-Neuve-et-Labrador nous raconte l’histoire d’un coq vexé de ne pas être reconnu à sa juste valeur. Capté à Outer Cove, sur une ferme familiale d’où s’échappent bruissements d’ailes et gloussements de poules, le conte sénégalais nous transporte dans la chaleur de l’Afrique de l’Ouest et nous fait oublier pendant un court moment la grisaille terre-neuvienne.
Navel Sarr est l’un des 24 artistes que les amateurs d’histoire pourront entendre au cours des prochains mois dans le confort de leur maison. Né en Mauritanie, ayant grandi au Sénégal et arrivé au pays il y a une quinzaine d’années, ce Terre-Neuvien d’adoption depuis 5 ans navigue avec aisance entre ses racines africaines et la culture canadienne. Fortement impliqué dans sa communauté à bâtir des ponts entre les citoyens et à promouvoir la culture africaine et afro-descendante, notamment grâce au St. John’s African Roots Festival (SARFest) qu’il a fondé en 2019, c’est avec enthousiasme que ce grand gaillard a pris part à ce projet rassembleur: «Moi, c’est dans ce contexte-là que j’ai accepté de faire l’histoire, c’est ma contribution, si on peut avoir plus de diversité dans la société, pourquoi pas», explique humblement celui qui encourage les immigrants à prendre la place qui leur revient dans la société terre-neuvienne.
Redéfinir le théâtre classique
D’abord reconnue pour faire la part belle au théâtre classique et particulièrement à l’œuvre de William Shakespeare, la troupe du Perchance Theatre s’est laissé dévier de sa trajectoire habituelle, en troquant la collerette et les pantalons bouffants du dramaturge britannique pour faire place à d’autres habits traditionnels du monde. La directrice artistique de la compagnie théâtrale, Danielle Irvine, ainsi que les membres de son équipe désiraient trouver un moyen d’offrir une vitrine et une expérience rémunérée aux artistes qui ne se reconnaissaient pas nécessairement dans les médias traditionnels ou dans l’art classique. «On a eu plusieurs conversations saines et stimulantes à propos du colonialisme, du modèle eurocentrique et de la définition du théâtre classique», affirme celle qui souhaitait créer un espace inclusif et accueillant pour tous. «On a tiré sur un fil et c’est ce qu’on a trouvé», image-t-elle.
Un bon filon, si on se fie au nombre de vues que les premières vidéos ont engendrées sur Facebook. «Ils étaient ouverts à tout ce que je proposais», s’enthousiasme Navel Sarr, également surpris par la popularité et la portée du projet, lui qui ignorait tout de l’existence de la troupe avant de participer à l’aventure. « Je pensais que c’était juste une petite affaire, ici, à St. John’s, et que personne ne les connaissait», rigole-t-il.
Il faut dire que le format court des vidéos s’insère bien dans l’horaire chargé du public. Selon Danielle Irvine, elles sont comme des petites collations visuelles qui se dégustent aussi bien avec un thé qu’un café, lors d’une pause au travail. «C’est un petit moment d’espoir dans la journée en ces temps difficiles», résume en français la directrice artistique, visiblement en amour avec son projet.
Des histoires universelles et intemporelles
Quel est le lien entre les histoires acadiennes, allemandes, ougandaises ou iraniennes du projet The Power of One: World Classics et celles du populaire auteur anglais ayant vécu il y a quelque 400 ans? Elles sont toutes porteuses de thèmes universels qui unissent les humains entre eux. «On a cherché des histoires, des pièces de théâtre ou des contes qui sont passés à travers les générations d’une famille ou d’une culture d’une société parce que Shakespeare, pour moi, racontait des histoires d’amour, de jalousie, d’ambition, de vieillesse ou de politique», nous rappelle Danielle Irvine.
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La vidéo est un médium qui sied bien à la transmission de ces histoires sans âge et à la tradition orale, omniprésente au sein de nombreuses cultures, notamment sur le continent africain. Destinés d’abord à l’éducation des enfants, les contes, qui ont rarement des auteurs officiels, servent aussi de ludique rappel aux adultes. Par exemple, l’histoire narrée par Navel Sarr, «Le coq fâché», souligne l’importance d’être reconnaissant, aussi bien envers les humains que la vie. Ce dernier y ajoute même son interprétation personnelle. «C’est pour élever les consciences et de se dire que chacun de nous a un rôle très important à jouer», expose-t-il.
Emballée par le projet, Danielle Irvine promet de maintenir le projet à flot dans les prochaines années. «On ne fait que gratter la surface, c’est la pointe de l’iceberg», dit-elle en riant. À défaut de naviguer de port en port, la scène du Perchance Theatre, constituée de plusieurs pièces de bateaux à voiles, voyagera d’écran en écran en transportant à son bord des histoires de différents bouts du monde.
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