Marianne Dépelteau
Francopresse
«L’identité de genre, ce n’est pas quelque chose qu’on voit», explique Marie-Philippe Drouin, à la coprésidence de l’organisme Divergenres, dont la mission est notamment «d’éduquer la population sur les réalités et les enjeux qui touchent la pluralité de genres».
«Comme n’importe quel aspect identitaire, c’est quelque chose qui se ressent, c’est quelque chose qui est autodéterminé. La meilleure pratique quand on est en interaction avec une personne, c’est de se présenter, partager soi-même son pronom, puis de le demander [à l’autre]», ajoute-t-iel.
Pour Marie-Éva de Villers, lexicographe et autrice du Multidictionnaire de la langue française, le pronom iel soulève quelques difficultés: «C’est quand même très difficile de savoir à quel moment on emploierait ce terme. C’est peut-être la personne elle-même qui écrit qui parlera d’elle dans un curriculum vitae, car elle ne veut se rapporter ni au genre féminin ni au genre masculin.»
Comment doit-on l’accorder?
Bien que Le Robert n’ait pas précisé les règles d’accord du pronom iel, des linguistes ont commencé à cibler quelques options.
Mylène Roy est linguiste et auxiliaire de recherche au Centre de recherche interuniversitaire du français en usage au Québec (CRIFUQ) de l’Université de Sherbrooke. Selon elle, l’accord au féminin ou au masculin est à la discrétion de la personne en question et «dans ce cas, il faut demander, nécessairement».
La linguiste relève également des terminaisons moins genrées, comme le «ae», le «ez», les doublets abrégés ou même le point médian.
Par exemple, le «ae» peut s’utiliser à l’écrit et à l’oral, comme dans la phrase «Iel est occupae». La terminaison «ez», quant à elle, est déjà employée lorsqu’un verbe est conjugué à la seconde personne du pluriel: vous.
Mylène Roy rappelle que de vouvoyer une personne est une manière de l’interpeler sans lui assigner de genre. Les doublets abrégés et le point médian sont surtout utiles lors de l’écriture, mais ne règlent pas le problème de la terminaison à l’oral.
L’organisme Divergenres a d’ailleurs produit un Guide de grammaire neutre et inclusive pour expliquer les différentes utilisations de déterminants, de pronoms et de terminaisons.
Il est «assez difficile de savoir sur quoi on s’aligne, admet Mylène Roy. Il y a plusieurs pratiques en ce moment qui ne sont pas figées. Peut-être que si les institutions se prononcent plus dans les prochaines années, on va pouvoir voir un figement dans ces pratiques.»
Selon Marie-Éva de Villers, «dans Le Robert, il n’y a pas eu d’indications sur l’accord de ce pronom. Ce qui va arriver, c’est qu’on va l’accorder au masculin. Comme toujours, le masculin va l’emporter, alors là aussi c’est un appauvrissement parce que dans 50% des cas, ça serait au féminin».
Un avis partagé par Mylène Roy: «C’est considéré comme des usages patriarcaux, donc “le masculin l’emporte sur le féminin”, c’est un peu un cheval de bataille. Non seulement pour la féminisation, mais aussi pour l’écriture inclusive […] Par contre, si c’est une personne non-binaire qui décide de se genrer au masculin, dans ce cas-là, ça se peut très bien.»
Un avenir assuré?
Marie-Philippe Drouin rappelle que le pronom iel a émergé dans les communautés francophones il y a plus de dix ans, remplissant ainsi la condition temporelle de l’ajout de ce mot au dictionnaire.
Iel note la dimension utilitaire du mot: «Ce qui est intéressant avec le pronom iel est qu’il désigne une personne non-binaire, mais c’est aussi un pronom qui sert de pronom inclusif.»
Iel explique aussi qu’à la différence d’autres pronoms non-binaires, «iel» peut désigner un groupe de personnes qui s’identifient dans les lignes de la binarité, par exemple dans la phrase : «Une centaine de personnes sont ici ce soir, iels attendent avec impatience.»
Marie-Philippe Drouin explique qu’avant la colonisation, un grand nombre de cultures reconnaissaient la non-binarité : «De toutes les époques et partout dans le monde, il y a toujours eu des gens qui s’identifiaient à l’extérieur de cette binarité homme-femme et ces personnes méritent d’être visibles et d’exister en toute authenticité, d’où la nécessité d’avoir des mots pour les définir.»
Marie-Philippe Drouin rejette l’idée selon laquelle l’ajout du pronom iel à la langue française viendrait la compliquer. Iel insiste cependant pour que le système d’éducation ait le plus grand rôle dans l’outillage de la population.
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Malgré un avenir potentiellement prometteur, Marie-Éva de Villers estime que le pronom iel a peut-être été intégré prématurément au Petit Robert.
«Quoiqu’en dise le directeur [du Petit Robert], pour ma part, je lis beaucoup, je consulte beaucoup les titres de presse ici et en France, et je n’ai à peu près jamais vu le pronom iel employé», rapporte la lexicographe.
«C’est vrai que je ne fréquente pas du tout les réseaux sociaux, mais la fréquence de cet emploi, je ne l’ai pas du tout notée et j’observe quand même beaucoup la langue pour justement intégrer tous les nouveaux mots qui surgissent», ajoute-t-elle.
L’autrice du Multidictionnaire de la langue française estime aussi qu’«il faut préciser que le pronom iel a été intégré au Petit Robert en ligne, pas dans la version imprimée. Mais il se peut fort bien que lorsque les éditions Le Robert procèderont à l’impression de la prochaine édition, que le pronom y soit intégré aussi».
En 2018, des données de Statistique Canada ont révélé que près de 75 000 Canadien·ne·s étaient transgenres ou non-binaires.
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