le Mercredi 16 juillet 2025
le Lundi 16 juin 2025 12:14 Arts et culture

Article finaliste des Prix d’excellence de la presse francophone de 2025 : Danser en acadien

Jacinte Armstrong est également directrice artistique et cofondatrice du collectif d’artistes de la danse contemporaine SiNS [Sometimes in Nova Scotia] Dance. — Photo: Marvin Moore (Courtoisie)
Jacinte Armstrong est également directrice artistique et cofondatrice du collectif d’artistes de la danse contemporaine SiNS [Sometimes in Nova Scotia] Dance.
Photo: Marvin Moore (Courtoisie)
Danser en acadien, c’est ce que propose l’artiste acadienne néo-écossaise Jacinte Armstrong avec son solo I Chart en acadien, dont la version complète sera présentée pour la première fois le 6 octobre prochain à St. John’s dans le cadre du Festival of New Dance. En résidence artistique à Corner Brook ce mois-ci pour l’occasion, la danseuse présentera également fin septembre son œuvre Found in Translation lors du festival CB Nuit 2024.
Article finaliste des Prix d’excellence de la presse francophone de 2025 : Danser en acadien
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Jacinte Armstrong aime jouer avec les mots et le langage, comme en témoigne le titre de son solo I Chart, un jeu de mots sonore avec le mot anglais eye chart, cette table optométrique, ou tableau de Snellen, que l’on utilise pour tester l’acuité visuelle d’une personne.

Mouvements mathématiques et histoires familiales

Danse interprétée par Jacinte et chorégraphiée par la conteuse de danse anglophone Sarah Chase, les yeux sont en effet les fils conducteurs tout au long de la pièce. «En danse contemporaine, on explore l’anatomie à travers l’imaginaire, c’est une pratique normale d’incarner et de bâtir un portrait imaginaire des différentes parties de l’anatomie pour comprendre comment ils bougent ensemble. Pour ce projet, ce sont les yeux qui sont ressortis de notre travail du mouvement avec Sarah et donc l’œil est un des fils qui va tisser le lien entre les gestes et les histoires de I Chart», détaille la danseuse.

Basée en Colombie-Britannique, la chorégraphe et danseuse Sarah Chase est connue pour son travail artistique spécifique mêlant gestes et histoires personnelles, qu’elle combine de manière mathématique par la répétition de motifs gestuels et de phases. «Les différents gestes et histoires vont se combiner et se recombiner de différentes façons et créer des liens pour tisser une plus grande histoire et un sens global», explique Jacinte Armstrong, précisant que les histoires contées sont ses propres histoires familiales.

Ce récit autobiographique dansé, créé en 2016 et joué depuis 2017, a naturellement vu le jour en version anglaise entre les deux artistes, puisqu’elles communiquent ensemble en anglais. Sur scène, Jacinte décrit à haute voix ses gestes et conte ses histoires en anglais pendant qu’elle danse. Parler et bouger en même temps ne semble pas être un défi pour celle qui affirme pouvoir (et aimer!) parler «toute la journée longue.»

De l’anglais à l’acadien: des obstacles inattendus

Pour la danseuse, le défi réside plutôt dans la traduction de I Chart en acadien. Le désir de créer une version acadienne de l’œuvre a été inspiré par le solo The door opened west, un projet similaire de Sarah Chase avec le danseur québécois Marc Boivin.

Les deux artistes ont en effet créé une version française du solo en anglais, afin de pouvoir raconter les histoires familiales du francophone aussi dans sa langue maternelle. «Les histoires ont affaire avec sa famille qui est francophone, donc de les raconter en français, j’assume que c’est normal et naturel pour Marc. Moi, ma mère est acadienne et mon père est anglophone, et je me suis rendue compte que ce sont plus des connexions avec mon père qui ressortent dans la pièce en anglais. Puis là, quand on fait la traduction, ce n’est pas mon père qui est dans la chambre avec moi, mais c’est plutôt ma mère! Alors à l’intérieur de moi, cela change vraiment la pièce! […] C’est comme un miroir, il y a quelque chose qui a changé avec la langue acadienne!», s’exclame Jacinte Armstrong, qui passe
naturellement de l’anglais, à l’acadien et à son «français d’école», comme elle l’appelle pendant l’entrevue.

Il ne s’agit donc pas seulement d’un travail de traduction linguistique pour transposer le solo en acadien, mais d’une réflexion plus profonde et intérieure autour des transformations et des significations de l’œuvre. «Il y a toutes sortes d’obstacles dans la traduction qui étaient inattendus», reconnaît l’Acadienne, à qui il reste encore du pain sur la planche pendant son mois de résidence artistique à Corner Brook.

Relier ses identités

L’artiste fait aussi remarquer que la langue acadienne donne une tonalité différente à l’œuvre en y apportant une dimension plus comique, notamment en jonglant avec les registres de langue et en y incorporant des mots en français. «Quand je fais la pièce en acadien, il y a des jokes qui sont dans la langue elle-même. Tous les Acadiens comprenons la différence entre l’acadien et le français. Par exemple, quand je décris l’œil, c’est un peu technique et moi je ne parle pas des choses techniques en acadien, mais en français. Je vais donc dire les termes français avec mon accent acadien,et c’est drôle!», il-lustre-t-elle en riant.

En janvier dernier, la danseuse a présenté pour la première fois une courte ébauche de I Chart en acadien à Moncton qui a été très bien reçue par le public, encourageant l’artiste à poursuivre sur sa lancée.

Ce projet artistique est aussi une manière de créer un pont entre son identité acadienne et de danseuse contemporaine au lieu de devoir choisir entre l’une ou l’autre. «En Nouvelle-Écosse, l’identité acadienne est surtout construite autour des traditions acadiennes, qui paraissent très lointaines des notions de danse contemporaine et d’art expérimental. Tu as l’impression que ta vie de danseuse et d’Acadienne ne va pas chercher le même vécu et les mêmes expériences de vie, alors pour t’adapter dans les deux univers j’ai l’impression qu’il faut être soit acadienne ou être danseuse contemporaine.» Avec I Chart en acadien, c’est tout le contraire que Jacinte Armstrong souhaite revendiquer, en reliant ses deux identités: «Moi, je suis une artiste acadienne parce que je suis acadienne ET parce je suis une artiste. Je pense que le contenu de ma pièce n’a pas besoin de parler des traditions ou de l’histoire acadienne pour que ce soit une pièce acadienne», affirme-t-elle avec conviction.