À l’automne 2020, de fortes vagues mettent à mal des installations de Nalcor à l’Anse-au-Diable, sur la côte sud du Labrador. Mais Dame nature n’a pas dit son dernier mot. À la mi-janvier, plusieurs pylônes de la ligne de transmission reliant Muskrat Falls à Forteau, également au sud du Labrador, sont endommagés. Pour déglacer les fils, Nalcor a appelé Hydro-Québec en renfort.
Jacinthe Tremblay – 22 mars 2021
Il y a une douzaine d’années, Hydro-Québec (HQ) a mis au point une ingénieuse technique de déglaçage des lignes de transmission. Elle consiste à frapper les fils chargés de glace ou à les frôler avec un poteau de téléphone suspendu à un hélicoptère. HQ est la seule entreprise au monde à disposer de cette technologie.
Quand vient le temps de l’utiliser, Hydro-Québec fait appel aux pilotes expérimentés de l’entreprise Héli-Boréal, de Sept-Îles. «Des opérations de déglaçage sont nécessaires aux deux ou trois ans au Québec. Nous sommes, par exemple, intervenus deux ans d’affilée près de Fermont. Mais l’opération au Labrador est la plus importante à ce jour», résume le directeur des opérations chez Héli-Boréal, Michel Séguin.
Pendant six jours, du 12 au 17 février, ce pilote expérimenté et deux de ses collègues ont survolé les 250 kilomètres de la ligne Muskrat-Forteau pour en assurer le déglaçage. «Les secteurs les plus affectés étaient dans les régions montagneuses du centre du Labrador, mais il y avait aussi de la glace plus près de la côte», note-t-il.
Même si le plus gros de l’opération s’est déroulée plus près de Goose Bay, les trois pilotes revenaient dormir à Lourdes-de-Blanc-Sablon, au Québec. «Sinon, il aurait fallu nous confiner pendant 14 jours à cause des règles Covid», rigole le Québécois Michel Séguin.
Exceptionnel, ce verglas?
Le 11 janvier, le jour même où le verglas s’abattait sur la ligne de transmission, plusieurs localités de la côte sud du Labrador commençaient également à crouler sous la glace. À Cartwright, cette «crise du verglas» a duré cinq jours. «Du jamais vu!», résume son maire Robyn Holwell en prenant toutefois le soin de donner quelques précisions. «Il était courant d’avoir de la pluie ou de la bruine verglaçantes en janvier dans notre région. Mais au cours des 10, 12 dernières années, c’est devenu plus fréquent. Avec les changements climatiques, ces événements météo dits extrêmes vont devenir de plus en plus fréquents», souligne-t-il.
Monsieur Holwell parle en connaissance de cause. Il a occupé pendant plus de 10 ans le poste d’observateur des conditions météorologiques de surface à la station météo de Cartwright de Nav Canada, avant son automatisation, il y a deux ans. Il est donc très au fait des bouleversements du climat sur la côte sud du Labrador.
Et qu’en est-il dans le corridor de la ligne de transmission de Nalcor au Labrador? «Excepté à Goose Bay, il n’y a aucune station météo dans le centre du Labrador. Il n’y a donc aucune donnée historique sur la fréquence et l’ampleur des épisodes de verglas dans ce territoire», révèle monsieur Holwell.
Les caractéristiques de la portion labradorienne des plus de 1000 kilomètres reliant Muskrat à la péninsule d’Avalon ont donc été déterminées à partir de comparaisons avec des régions semblables, ailleurs dans le monde. «Au moment de l’étude du projet, il a été mentionné que ça pourrait devenir un problème…», se rappelle Me Dennis Browne, le titulaire du poste de Défenseur des consommateurs d’électricité (Consumer Advocate) de Terre-Neuve-et-Labrador.
Et problème c’est devenu. Car les dommages causés par le verglas de janvier dernier ne se sont pas limités à de la glace sur des fils.
Dommages en cascade
Newfoundland Labrador Hydro (NL Hydro), filiale de Nalcor, rapporte pour la première fois des dommages causés par cet épisode de verglas dans un rapport remis au Public Utility Board (PUB) le 4 février dernier. «Les dommages actuellement identifiés sont isolés sur 8 traverses de transmission en acier des 1 229 pylônes de ce segment. (…) De plus, 16 secteurs ont été identifiés comme ayant fait l’expérience de dommages qui requièrent des réparations aux conducteurs de ligne d’électrodes des pylônes», peut-on lire dans ce rapport.
NL Hydro indique alors que les réparations vont bon train. «Un des secteurs touchés est relativement près de l’autoroute, mais un autre requiert du déneigement sur environ 65 kilomètres», précise l’entreprise.
Deux rapports plus tard, le bilan s’est alourdi. Au 4 mars, le nombre de traverses endommagées est passé de 8 à 11, et 36 conducteurs de lignes d’électrodes ont dû être réparés. NL Hydro rapporte aussi que le 7 février, pendant les travaux de réfection, une section de conducteur est tombée au sol, provoquant de fortes vibrations des lignes et pylônes voisins. De la glace est aussi tombée près des employés qui s’affairaient à proximité.
NL Hydro met alors les travaux en pause, le temps d’élaborer et mettre en œuvre un plan de travail sécuritaire. Il comprend entre autres le déglaçage des lignes par Héli-Boréal, dépêchée sur les lieux par Hydro-Québec. Quand ses pilotes arrivent sur place, le 12 février, les lignes sont glacées depuis déjà un mois…
«Une fois les lignes déglacées, de nouvelles inspections seront effectuées pour savoir si des réparations supplémentaires sont requises immédiatement ou pendant l’été», note NL Hydro, qui ajoute que l’enquête sur les causes de tous ces dommages est en cours.
Le PUB réagit
Cinq jours plus tard, dans une missive qui sent l’exaspération et l’inquiétude, le PUB envoie une longue liste de questions à NL Hydro sur les nombreux problèmes non réglés rapportés dans ses récents rapports. Il exige des réponses le plus rapidement possible et, au plus tard, le 30 mars prochain.
Plus d’une quinzaine de questions touchent l’épisode du verglas. Le PUB veut notamment savoir si ce genre d’événement météo a été prévu dans le design des installations de la ligne de transmission au Labrador.
Il demande également à NL Hydro de décrire «comment, si le lien Labrador-île de Terre-Neuve avait été pleinement en opération, chacun de ces événements aurait affecté ce plein fonctionnement».
En bref, pourra-t-on se fier au lien Labrador-Île de Terre-Neuve pour alimenter l’île (et la Nouvelle-Écosse) en électricité venant de Muskrat Falls, sans correctifs majeurs entre le barrage et Forteau? Et si la réponse est non, que faudra-t-il faire, quand et à quel prix? Suspense jusqu’au 30 mars, minimum.
250 autres millions en vue?
Évoquant la possibilité que des doutes subsistent sur la fiabilité de centrale de Muskrat et sa la ligne de transmission au moment de la mise en service du projet, le PDG de Nalcor, Stan Marshall, a estimé que des investissements de 250 millions de dollars pourraient s’avérer nécessaires pour assurer l’autonomie de l’île en électricité pendant les périodes de pointe hivernale.
Envie de faire un tour d’hélicoptère virtuel? Richard Gagnon, le président d’Héli-Boréal a diffusé le 17 février sur la page Facebook de l’entreprise un petit documentaire de quatre minutes. On y voit l’opération de déglaçage au Labrador. Des images impressionnantes, sur fond de musique rock!
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Les installations de l’Anse-au-Clair mises à mal
À l’automne 2020, une tempête accompagnée de fortes vagues met à mal les électrodes sous-marines et la lagune qui les protègent, à l’Anse-au-Diable, sur la côte sud du Labrador. Selon la firme Liberty, chargée par le Public Utility Board (PUB) de surveiller l’évolution des travaux du projet Muskrat Falls, des photos aériennes soumises par Nalcor permettent de craindre que des répara- tions majeures soient nécessaires, incluant la révision du design de la lagune.
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