Au Canada, une femme est tuée toutes les 48 heures, selon l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation (OCFJR).
En novembre 2022, le gouvernement fédéral dévoilait son Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. «C’était un plan qui était très attendu», se souvient Nour Enayeh, présidente de l’AFFC.
Or, ce dernier a été accueilli avec déception et surprise par l’organisme, qui dénonçait par communiqué l’absence de lentille francophone; l’invisibilisation des spécificités propres aux femmes vivant en situation minoritaire et l’absence du «par et pour».
En réaction, les organismes membres de l’AFFC ont travaillé de concert pendant plus d’un an afin d’élaborer une stratégie nationale et un plan d’action pour contrer la violence faite aux femmes et aux filles vivant dans les communautés francophones et acadiennes.
Situation préoccupante
«La situation actuelle en matière de violence basée sur le genre reste préoccupante et complexe», alerte Annick Mondat Allemann, directrice générale d’Actions Femmes Î.-P.-É, un des organismes membres de l’AFFC.
Selon elle, la pandémie de COVID-19 a exacerbé cette situation problématique. «L’accès limité aux services de soutien et aux maisons d’hébergement a compliqué la situation pour de nombreuses personnes vulnérables.»
«Les personnes qui subissent de la violence genrée rencontrent souvent des obstacles lorsqu’elles cherchent de l’aide», ajoute-t-elle.
Manque de ressources, lacunes dans les services disponibles, stigmatisation sociale ou manque d’informations sur les droits et les recours possibles, les barrières sont nombreuses selon elle.
«Pour certaines femmes, c’est encore plus difficile que pour d’autres», précise-t-elle en citant les nouvelles arrivantes, les personnes 2ELGBTQIA+ ou encore les femmes racisées, sans oublier les femmes francophones et acadiennes, «qui peuvent rencontrer de grandes difficultés à obtenir des services dans leur langue, alors qu’il s’agit de leur droit».
Double violence
«Quand on vit en situation minoritaire linguistique, ça rajoute une couche aux difficultés que vivent les femmes qui font face à la violence», remarque Nour Enayeh.
«Dans les provinces et territoires, il y a très peu de services en français qui sont offerts pour les femmes qui sont aux prises avec la violence. Il n’y a pas beaucoup, voire pas du tout, de services de prévention et de sensibilisation. Ils sont majoritairement en anglais», déplore-t-elle.
Annick Mondat Allemann prend l’exemple de l’Île-du-Prince-Édouard, où les services disponibles sont principalement en anglais. «Les personnes qui subissent de la violence doivent choisir entre recevoir un service plus ou moins rapide en anglais ou attendre de longues heures, voire des jours pour y accéder en français», décrit-elle.
Une situation particulièrement dramatique pour les survivantes de violence sexuelle, qui ont besoin de soins immédiats. «On peut parler de double violence : après les violences conjugales, les victimes font face à la violence du système de santé, du système juridique, etc..»
«Aussi, en région éloignée ou en milieu rural, l’anonymat est difficile à garder, remarque-t-elle, et de plus, la difficulté d’accès aux différents moyens de transport peut empêcher les survivantes et les personnes qui subissent de la violence d’avoir accès aux services en français dans leur province et territoire.»
Prévention et action
Publié à l’automne 2023, la Stratégie nationale et plan d’action pour contrer la violence faite aux femmes et aux filles vivant dans les communautés francophones et acadiennes de l’AFFC comprend trois axes prioritaires : la prévention et l’éducation, le soutien aux personnes aux prises avec la violence et à leur famille, et un système judiciaire réactif, «pour aider les survivantes et celles qui subissent de la violence à avoir accès à des conseils juridiques en français à travers le pays», indique Nour Enayeh.
La présidente de l’AFFC rappelle en outre l’importance de promouvoir la prévention et l’éducation en matière d’égalité des genres auprès des jeunes et des adultes en mettant l’accent sur les relations saines, afin de prévenir les violences fondées sur le genre. Plus précisément, le premier axe du plan d’action de l’AFFC cible «les hommes, les garçons, les milieux scolaires et les milieux sportifs».
Annick Mondat Allemann explique que «pour chacun de ces axes, les organismes membres de l’AFFC ont dressé une liste d’actions qui peuvent être entreprises autant sur le plan national, provincial, territorial que local».
«L’objectif de la stratégie et du plan d’action que nous avons développés en réponse à celui du gouvernement est de faire entendre les voix des femmes francophones et acadiennes vivant en milieu minoritaire, déclare Nour Enayeh. C’est important de parler de leur vécu, de leurs réalités, et de proposer des pistes de solution adaptées pour mettre fin à la violence genrée.»
«L’augmentation et le maintien du financement des organisations de femmes francophones et acadiennes sont aussi primordiaux. Sinon, des organisations de femmes qui offrent des services aux femmes et aux filles en situation de violence risquent de fermer», prévient Nour Enayeh, en faisant référence à Inform’Elles, en Colombie-Britannique qui est en attente d’une confirmation de financement pour la poursuite de leur mission après le 31 mars 2024.
La force d’un réseau
Le 26 septembre 2023, l’AFFC a lancé une campagne nationale de sensibilisation qui se nomme Unissons nos voix contre les violences genrées.
Pour Annick Mondat Allemann, l’une des forces de l’AFFC est son réseau. «On apprend de ce que les autres font en matière de lutte contre les violences genrées, et ça nous inspire. On met en commun nos bonnes pratiques en lien avec le projet et la réalité des femmes francophones et acadiennes vivant au milieu minoritaire au Canada. L’AFFC est notre porte-parole au fédéral pour unir nos voix malgré nos réalités parfois différentes.»
La présidente ajoute qu’«on peut se sentir seule parfois en francophonie minoritaire. Cela fait du bien de voir que l’on peut compter les unes sur les autres pour défendre les droits des femmes francophones et faire partie de la lutte pour mettre fin aux violences genrées.»
Si on veut mettre fin à la violence genrée, il est impératif que les organismes de femmes soient au cœur des consultations. La communication entre les différents joueurs engagés dans lutte contre la violence genrée reste un élément clé et les femmes francophones et acadiennes doivent être consultées.
Souvent «on collecte des données, on fait des choses, mais chacun le fait de son côté et il y a un manque de collaboration entre tout le monde. […] Des ministères ou des gouvernements par exemple qui vont travailler sur la violence des femmes, mais qui ne vont pas communiquer ensemble ou avec les organisations concernées. Ou le domaine de la santé qui ne communique pas avec les juristes, qui ne communiquent pas avec l’éducation», commente Nour Enayeh.
La présidente de l’AFFC tient à rappeler que la stratégie nationale et le plan d’action pour contrer la violence faite aux femmes et aux filles vivant dans les communautés francophones et acadiennes sont affichés sur le site Web de l’AFFC.
Des outils et des ressources élaborés pour la campagne de sensibilisation sur les violences genrées sont également accessibles et disponibles à tous et à toutes.
Personne n’est à l’abri de la violence. Elle peut survenir partout, peu importe le contexte, les circonstances, le milieu de travail ou le style de vie. Il est même possible de constater ou de découvrir des situations de violence autour de soi. Pour cette raison, il est important de s’éduquer et de parler ouvertement de violence genrée afin de participer à la lutte pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles.
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