Jamais, depuis le commencement de la pandémie, la communauté terre-neuvienne de Fortune n’avait été aussi éloignée de Saint-Pierre et Miquelon. Pour les non-Canadiens, impossible de s’y rendre sans enfreindre la loi, ce que personne ne se serait risqué à faire. Il ne restait que la nostalgie, la déception ou encore une forme de ressentiment pour les propriétaires de maisons secondaires sur la péninsule de Burin, alors que les côtes de Terre-Neuve sont si proches.
Pour ma part, les escapades dans les terres canadiennes m’étaient précieuses et Plaisance faisait partie des destinations chères à mon cœur. Voilà que cette ville, comme Marystown ou Grand-Banc, paraissait plus lointaine que Paris ou Genève, autres lieux que je chéris. Lointaine? Non, mais bien inaccessible, tout simplement, puisque pendant longtemps Saint-Pierre et Miquelon était isolée de toute destination, excepté pour les évacuations sanitaires. Seule possibilité de voyage pour les résidents de l’archipel: la lointaine métropole.
Chute du «mur»
Cet été, le mur infranchissable construit par le virus s’est fissuré grâce à la pugnacité d’un collectif de résidents de l’archipel français désireux de revenir à tout prix dans leurs demeures ou de retrouver des cousins et amis de la province voisine. Enfin courant juillet, les autorités canadiennes ont annoncé la réouverture prochaine des frontières nationales aux Saint-Pierrais et Miquelonnais vaccinés. Et le onze août dans la matinée, le ferry tricolore a enfin franchi la frontière pour accoster à Fortune avec ses quarante-six passagers et plusieurs véhicules. Une première depuis l’arrivée des traversiers dans l’archipel!
C’est une ambiance de fête qui se dégage si l’on écoute les témoignages. Ce retour tant attendu a un goût de bonheur à préserver. Familles et amis retrouvés, maisons rouvertes, échanges réappropriés. Même si l’accueil sur la terre canadienne commence par la vérification des documents indispensables, il se concrétise avec des cadeaux de bienvenue dès la descente du traversier.
Un amoureux de la région, Jean-Christophe Lebon, a compté les jours. 519 exactement ont séparé les Saint-Pierrais et les Miquelonnais du territoire voisin. 519 jours qui ont permis aux mauvaises herbes de pousser, aux églantiers de reprendre possession de terrains défrichés deux ans plus tôt et aux mauvaises surprises de s’installer dans les maisons inoccupées, l’humidité en particulier.
Cependant, bien que ces désagréments aient pu ternir les retrouvailles, le plaisir du retour était largement au rendez-vous. Pour certains, regagner le petit coin de paradis à quelques kilomètres de leur résidence principale est un véritable privilège même si la partie n’est pas totalement gagnée. En effet, il suffirait d’une nouvelle flambée de la maladie pour que le «mur» se dresse à nouveau, infranchissable.
Retrouver ses bouts du monde
Si les visiteurs de l’archipel sont ravis de l’ouverture de la frontière, c’est aussi le cas des habitants de Fortune dont le partenariat commercial avec Saint-Pierre et Miquelon est indispensable. Ainsi, entendre le français dans le port est une bouffée d’air frais absolument vivifiante. Indispensable d’ajouter que les Terre-neuviens sont eux aussi bienvenus à Saint-Pierre ou à Miquelon, vaccinés ou acceptant une septaine, la «route» étant ouverte dans les deux sens!
Pour ma part, alors que je suis en ce moment sur le continent européen, imaginer que je puisse à nouveau mettre les pieds sur l’île cousine me charme. Cela me permet de rêver de grands espaces et de routes sur lesquels je pourrais rouler pour aller «au bout du monde». L’envie de voyages, le désir de découvertes de lieux inconnus, l’attrait pour des contrées adoptées comme miennes peut à nouveau trouver matière, sans l’interdiction formelle pour cause de virus.
Au fond, revenir à Fortune a tout simple- ment un goût de liberté retrouvée!
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