David Beauchamp
IJL – Réseau.Presse – Le Gaboteur
Pendant des siècles, la pêche a été le cœur économique et culturel de Terre-Neuve-et-Labrador et a été la raison principale de sa colonisation par les Européens. Bien que la pêche soit toujours importante pour la province, plusieurs considèrent qu’elle a perdu de son prestige en raison des impacts négatifs de l’industrie sur l’économie, la sécurité alimentaire et le climat. Beaucoup réclament des changements radicaux.
«L’océan est un bien commun»
Pour le pêcheur à la retraite, Barry Darby, auteur du document Changing Course – A New Direction for Canadian Fisheries publié en 2019 en collaboration avec Helen Forsey, l’océan est bien plus qu’un secteur d’exploitation économique. «L’océan est un bien commun. Il y a présentement deux acteurs majeurs qui l’utilisent: l’industrie de la pêche privée possédant de larges navires d’exploitation et qui veulent tout contrôler ce qu’il y a dans l’eau avant même que le poisson soit né, et le reste d’entre nous qui dépendent du poisson pour notre alimentation et nos entreprises locales», souligne-t-il quant à ce qui menace les océans et les poissons aujourd’hui.
Si l’océan est un bien commun, la question des permis et des différents aspects légaux liés à la pratique de la pêche peuvent créer une image négative des plus petits pêcheurs et ce, au bénéfice de l’industrie de la pêche à grande échelle.
«Pêcher est devenue une activité péjorative et la grande industrie a engendré cette situation à cause de l’importance accordée aux permis encadrant qui peut pêcher et comment», fustige John Weber, un des interlocuteurs ayant pris le micro lors de l’événement. «On met à l’avant-plan le petit pêcheur avec son seau de crabes capturés illégalement comme étant responsable de la destruction de la faune dans les océans pendant que les navires industriels capturent littéralement tout ce qui se trouve sous l’eau jusqu’au plus petit caplan».
Melissa Samms, qui en est présentement à sa deuxième saison de pêche au homard, pense qu’il y a une valeur ajoutée à accorder la priorité à la pêche à petite échelle. «Nous pourrions vendre les produits de la mer directement à la clientèle locale au lieu de laisser les distributeurs le faire à notre place, chose qui augmente les prix du poisson tout en diminuant la qualité du produit», mentionne-t-iel pendant sa présentation enregistrée par audio. Samms ajoute que de retirer les distributeurs alimentaires de la chaîne d’approvisionnement ferait aussi en sorte de rapprocher le consommateur et le pêcheur et créerait des liens sociaux importants; et ce en plus de permettre l’accès à de meilleurs produits en diversifiant l’offre.
Une île en exemple
Barry Darby et Helen Forsey voient des problèmes majeurs avec le système en place actuellement dans le milieu de la pêche. «Nous devons faire des changements pour remplacer les politiques en vigueur présentement par un nouveau système holistique qui prend en compte les aspects économiques autant que sociaux et écologiques», expliquent-ils en interview. Le duo nous met en garde contre une attention trop forte à un de ces trois éléments puisque ce scénario mène inévitablement à un déséquilibre, comme dans le cas de la morue, pour qui l’intérêt économique a mené à son déclin et à l’imposition du moratoire de 1992.
Barry Darby pense qu’il existe des modèles ailleurs dans le monde desquels la province pourrait s’inspirer. Il cite en exemple l’Islande: «Au niveau des poissons pêchés collatéralement, [les pêcheurs islandais] sont obligés de les ramener sur la terre ferme pour répertorier le nombre de poissons qu’ils ont tués accidentellement et ainsi obtenir les chiffres exacts de l’impact de la pêche sur toutes les espèces. Ceci est un exemple parmi tant d’autres qui fait en sorte que l’Islande est un modèle en matière de juridiction dans les pêcheries.»
D’ailleurs, le chercheur explique que l’Islande priorise de plus petits bateaux et que de cette manière, la pêche en devient plus lucrative en plus d’être davantage écoresponsable. «C’est une des formes que prend la décroissance économique et industrielle», ajoute Forsey.
D’aval en amont
Pour les deux activistes, il faut retourner à la base, et ce, le plus rapidement possible. Selon eux, une des meilleures manières d’atteindre cet objectif est d’abandonner le système de quotas actuellement appliqué par Pêches et Océans Canada puisqu’il est un des principaux nœuds du problème.
Dans le rapport, il est recommandé de remplacer les quotas par un système fondé sur l’effort. Ce nouveau système permettrait de gérer le milieu de la pêche plus efficacement grâce à une approche qualitative fondée sur une diversité de prises et en prenant en considération la biodiversité marine comme un ensemble en constante interaction. Ceci est contraire au système de quotas quant à lui fondé sur une approche quantitative où le poids et le nombre de poissons péchés et vendus sont les principaux indicateurs.
Darby croit que les quotas ne sont pas adaptés à la pêche et à la complexité de la biodiversité marine. Il prend pour preuve le fait que l’industrie de la pêche au homard est la plus solide et florissante au pays et qu’il n’y aucun quota régissant cette pêche. «Pendant plus de 90 ans, la pêche au homard est celle [qui a été] la mieux gérée et il n’y a jamais eu de quotas pour le nombre de homards péché. Cela paraît contre-intuitif, mais en utilisant un équipement approprié pour cette espèce ainsi que des navires plus petits et adaptés, cela [a permis de réduire] les impacts néfastes sur toutes les autres espèces qui cohabitent avec le homard», spécifie-t-il. «Par nature, le système de quotas cause davantage de dommages à l’environnement alors que la cible principale [devrait être] de réduire les impacts négatifs sur les écosystèmes».
L’activiste est optimiste quant à l’avenir puisqu’il remarque un changement de mentalité dans la population. «De plus en plus de gens sont conscients que le futur de la planète est intrinsèquement lié à notre présence. Nous devons tous travailler ensemble pour influencer les dirigeants à prendre de meilleures décisions et ainsi, réduire les impacts négatifs des humains sur les écosystèmes.»
Une proposition pour changer le cap de l’industrie
Le rapport Changing Course – A New Direction for Canadian Fisheries est le fruit d’un travail de longue haleine sur la situation de la pêche dans la province. Rédigé par Barry Darby en collaboration avec Helen Forsey, ce document de 25 pages, publié en 2019, propose des solutions concrètes pour remédier à la crise sévissant dans les pêcheries de la côte est canadienne.
Parmi ses recommandations, certaines pourraient être appliquées dès maintenant: «Nous pourrions actuellement imposer des limites plus basses de prises, abolir le système de quotas séparés par espèces marines, adopter un système qui freine la vente libre de poissons par des plus gros joueurs, etc».
Pour les auteurs, les suggestions contenues dans le rapport sont une piste de réfléxion pour tous dans le but de changer cet état de fait. «La domination de l’industrie de la pêche a trop enfreint les droits de la population et cette situation doit cesser», réclame l’ancien pêcheur.
Pour télécharger le rapport en apprendre davantage sur ce dernier, c’est ici (en anglais seulement): https://barrydarby.com/the-proposal/.
Cet article fait partie de notre dossier:
L’industrie de la pêche, réimaginée
Le 10 mai dernier, la Social Justice Co-op NL a invité le public au St. John’s Farmers’ Market dans le cadre de sa série de discussions intitulée Socials 4 Justice («Socialiser pour la justice sociale»). Cette rencontre abordait les manières potentielles de transformer les pêcheries en un milieu juste et équitable tout en limitant l’impact néfaste de la pêche commerciale sur l’industrie à Terre-Neuve-et-Labrador, province toujours orientée vers la mer.
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