le Vendredi 31 octobre 2025
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Une soirée chez les Terre-Neuvas

Philippe Hrodej de l’Université Bretagne-Sud en France met en lumière l’histoire des pêcheurs français à Terre-Neuve.  — John Babb
Philippe Hrodej de l’Université Bretagne-Sud en France met en lumière l’histoire des pêcheurs français à Terre-Neuve.
John Babb

Le Centre Nexus de l’Université Memorial est maintenant hôte d’une série de conférences en français. Philippe Hrodej, spécialiste en histoire maritime transatlantique, débute cette série avec un discours sur la présence française au nord du vieux Rocher.

Une soirée chez les Terre-Neuvas
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Jennifer Selby, professeure au sein du département de sciences religieuses de l’Université Memorial, engage les curieux avec une nouvelle série de discours publics de langue française intitulée Quoi de Neuf?. Cette série invite des chercheurs d’expression française, d’ici et d’ailleurs, à partager leurs recherches et idées sur des sujets divers.

Ce programme, qui a lieu au campus de la capitale, a été financé par le Bureau des services en français du gouvernement provincial. Il a non seulement pour but de partager du savoir en français, mais aussi de rassembler les curieux d’expression française. 

Pour dévoiler cette série le 2 octobre, une réunion intime a accueilli l’historien Philippe Hrodej, professeur à l’Université Bretagne-Sud en France. Ancien mousse et marin, monsieur Hrodej est aujourd’hui spécialiste en histoire maritime transatlantique et a présenté l’histoire de la présence française sur la Grande Péninsule du Nord.

«J’essaie d’être Terre-Neuva ou Terre-Neuvier»

Comme coordonnateur scientifique du groupe GEMER (Gens de mer des temps modernes), Philippe Hrodej s’intéresse en particulier aux familles marines de Cancale, en Bretagne, d’où viennent la plupart des Français dans cette région surnommée le Petit Nord. 

Avec des colonies impermanentes des pêcheurs français surtout installés le long de la côte, de LaScie jusqu’à Quirpon, selon les informations archivées, beaucoup de ces marins sont partis de Saint-Malo. En 1736, 55 navires et 3325 hommes quittent cette ville française pour la pêche en outre-mer. 45% de ces navires, dont 52% du personnel, étant destinés pour la Grande Péninsule du Nord, constate le chercheur. Les documents qu’il consulte notent plusieurs aspects des vies personnelles des pêcheurs, tout entre leurs caractéristiques physiques, leurs familles et leurs historiques de travail.

Pendant son séjour sur le vieux Rocher, monsieur Hrodej a même tenté de comprendre la perspective de ces marins français sur les rives terre-neuviennes. «Moi, ce soir, je suis avec des Terre-Neuviens», dit-il. «Et moi, quand je travaille, j’essaie d’être Terre-Neuva ou Terre-Neuvier», soit les anciens noms pour ces pêcheurs français.

«Vous, vous voyez [Terre-Neuve] depuis la terre. […] Les gens sur qui je travaille, [leur] regard, il vient de la mer, en fait. Et c’est ça, pendant tout mon voyage, à quoi je pensais en fait. Je me disais finalement: je suis sur la route, c’est bien gentil, mais il faudrait que je sois sur un bateau pour apprécier mieux et puis regarder exactement et découvrir […] les différents rochers qui affleurent, les traits de côte, et me dire, tiens, on va arriver, on va pouvoir s’éparpiller.»

Femmes et familles en France

Sur l’autre côté de l’Atlantique, une autre réalité se dévoile à travers les archives. Pendant la soirée, le chercheur a également mis l’accent sur les responsabilités des femmes des marins français partis à travers l’Atlantique. D’après lui, les dossiers détaillant les dates des départs et retours des marins offrent aux chercheurs, paradoxalement, à mieux comprendre la vie familiale et des femmes de ces marins.

Pour Philippe Hrodej, comprendre le genre à cette époque fait partie du but plus large à comprendre les réalités de tout le monde au fil du temps. Les marins étaient en mer pour la majorité de l’année et à l’époque, dit-il. Et si vous voulez un mari, vous seriez ensemble deux ou trois mois maximum. En absence de leurs maris, les femmes profitaient normalement du statut de procuration pour prendre des décisions légales. Plusieurs parmi elles ont pu acheter et vendre des maisons, par exemple, contrairement à la norme.

En plus de s’occuper des enfants, y compris l’élevage des futurs mousses et marins, plusieurs de ces femmes dirigeaient également leurs propres entreprises pour gagner la vie quand les salaires des maris absents ne suffisaient pas. «La pluriactivité, c’est le fait que le salaire de l’homme ne suffit pas», précise monsieur Hrodej. «Quand elle est veuve, c’est encore pire. […] Et c’est pas des petits travaux, c’est un travail, je veux dire, un travail à part entière.»

«C’est pas pour faire passer le temps, c’est pas pour se distraire pendant un an, c’est vraiment pour gagner sa croûte.»

Partager avec le public

Cette première conférence de «Quoi de Neuf?» a permis au monsieur Hrodej de partager ce projet et «rattacher évidemment cette recherche à Terre-Neuve».

«Je pense effectivement qu’il est tout à fait normal de se rappeler que les Français ont envoyé chaque année des milliers de gens ici» dit-il. «Alors ça, c’est intéressant, d’ailleurs, de se dire combien sont morts ici, combien sont enterrés ici, là, etc. Il y en a des centaines. Donc, il y a ce passé qui est important.» 

Selon lui, ce moment dans l’histoire de la province est encore pertinent pour comprendre les réalités de nos jours, tout entre les noms des baies et fleuves jusqu’au patrimoine français laissé dans la région.

«[Pour] quelqu’un qui vit dans une belle île comme [Terre-Neuve], je crois qu’il a peut-être envie aussi de temps en temps de savoir, et les centres de recherche ici dans l’île le montrent très bien, a besoin de savoir qui a vécu ici, la faune, la flore, en géologie […] mais aussi donc les autochtones et les différentes vagues d’immigration qui ont pu avoir lieu.»

À l’aube de cette nouvelle série qui jette un pont entre l’académie et le public, monsieur Hrodej souligne la signification du rôle joué par l’université dans la société aujourd’hui. Pour lui, l’université «est un espace de liberté aussi où on peut dire… ce qu’on a à dire, quitte d’ailleurs à demander à être critiqué. Et ça, c’est quelque chose qui n’existe pas ailleurs. S’il n’y avait pas l’université, il n’y aurait pas cette ouverture d’esprit.»

Pour découvrir les prochaines présentations de la série Quoi de neuf?, suivez la page Facebook du Centre Nexus. Le programme prend place dans la salle SN-4022 dans l’édifice des sciences. Si vous ne pouvez pas y assister en personne, vous pouvez y participer par visioconférence. La prochaine discussion aura lieu le 22 octobre et présentera les recherches sur les macareux de Pierre-Paul Bitton du département de psychologie de l’Université Memorial.