Histoire, Loisirs, Tous

Un nid de corbeaux chargé d’histoire

Perché en surplomb du War Memorial sur Water Street à St. John’s, le bar Crow’s Nest Officer’s Club est bien plus qu’un endroit où les membres peuvent se détendre après le travail. C’est un véritable lieu de mémoire, un lieu d’archives, un musée d’histoires de guerre, de navires et de soldats. Les corbeaux sont connus pour leurs collections de trésors et de bibelots brillants, Le Gaboteur a décidé de grimper jusqu’au fameux nid pour découvrir les trésors historiques que recèle le bar.
, ,

Texte: Cody Broderick – Photos: Coline Tisserand

Vers la fin de la guerre, la Marine canadienne a capturé un U-Boat à Bay Bulls. L’équipage a été envoyé sur le continent, mais le U-Boat est resté sur le Rocher et a été transporté à St. John’s. Aujourd’hui, vous pouvez regarder par son parascope au Crow’s Nest, où vous ne verrez pas d’ennemis de guerre, mais une vue du centre-ville de la capitale. Photo: Coline Tisserand

Le port de St. John’s a une longue histoire navale. Il a été visité par un nombre incalculable de navires, que ceux-ci soient rattachés à la pêche à la morue, au domaine du loisir ou à celui de la guerre. Aujourd’hui, on voit peut-être plus de bateaux de croisière que de navires de guerre attachés aux quais, mais pas très loin du port, on peut encore trouver des récits des soldats qui ont visité le Rocher pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Anciennement un club privé pour les membres de l’armée, et maintenant ouvert au grand public, le Crows Nest Officer’s Club était autrefois un lieu de réconfort pour les soldats Terre-Neuviens et étrangers qui s’arrêtaient à St. John’s avant d’être dirigés vers l’Europe et ses conflits ou en revenant du Vieux Continent pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Le bâtiment a été construit après le grand incendie de 1892, et il a d’abord été utilisé comme entrepôt et abritait l’ancienne auberge The Ship Inn. Environ 50 ans après sa construction, la Grande-Bretagne et ses colonies, comme Terre-Neuve, déclarent la guerre à l’Allemagne. Le bâtiment allait du coup changer de vocation.

Au cours de l’été 1941 émerge le besoin d’un endroit pour développer le travail d’équipe et la camaraderie pour les matelots des navires basés dans la ville. Le colonel terre-neuvien Leonard Outerbridge DSO et sa femme Dorothy cherchent un endroit approprié pour un club, et trouvent un emplacement sur le toit de l’entrepôt. 

Fondé d’abord sous le nom du Seagoing Officers Club, le nom actuel du club remonte à un officier de la marine canadienne qui aurait désigné le club de «véritable nid de corbeaux» après avoir eu toute la misère du monde à gravir les 59 marches menant jusqu’à la porte du club.

Aujourd’hui, le club accueille les membres venant du grand public, mais il fait également œuvre de mémorial en l’honneur de ceux qui ont combattu dans les forces navales. Une fois assis avec votre boisson, vous verrez qu’il y a une histoire dans chaque recoin du bar.

Histoires cachées dans chaque coin

Comme dans toutes les archives et tous les musées, il y a un spécialiste pour vous en dire plus sur les différents artefacts. Au Crow’s Nest, la spécialiste est une vétérane raconteuse, Margaret Morris. Grâce à ses histoires, les soldats de cette époque reprennent ainsi vie sous vos yeux.

Mme Morris montre que le bar ne contient pas seulement des artefacts, mais qu’il en est un en soi. Les gravures anciennes sur les murs, aujourd’hui recouvertes de peinture, laissent encore transparaître les nombreuses empreintes des visiteurs marins. 

Vous pouvez encore voir certaines gravures aujourd’hui, mais de tels graffitis n’étaient pas, à l’époque, considérés comme étant acceptable pour un club militaire. Pour les éviter, chaque navire en visite recevait un espace de quatre pieds carrés pour y placer des œuvres d’art marquant son nom.

La première pièce d’art est celle du HMCS Wetaskiwin. Ensuite, dans un esprit de compétition amicale, de franche rigolade et pour laisser leur empreinte dans l’histoire de St. John’s, de nouvelles œuvres d’art provenant de plusieurs navires ont été peintes et envoyées pour recouvrir les murs du bar.

Alors pourquoi est-il important de se souvenir et de raconter toutes les histoires laissées par les marins en visite? Pour Mme Morris, «beaucoup des leçons de cette époque sont encore pertinentes aujourd’hui. La technologie change, mais l’aspect humain ne change pas.»

Une maquette du navire HMCS Snowberry est exposée au bar Crow’s Nest. Ce navire a été construit à Lauzon, Québec et a été utilisé comme escorte de convoi entre St. John’s et l’Islande au début des années 1940. Au début de la guerre, les navires n’avaient pas la capacité de traverser tout l’océan Atlantique, de sorte que les navires canadiens qui devaient aboutir à Derry, en Irlande du Nord, devaient faire escale à Terre-Neuve et en Islande avant leur destination finale. Les navires qui faisaient le trajet entre Terre-Neuve et l’Islande (et plus tard Irlande) faisaient partie du Newfoundland Escort Force (NEF, ou la Force d’escorte de Terre-Neuve), créé en mai 1941.

Les coups de coeur du Crow’s Nest

Vous n’avez pas eu l’occasion de visiter le Crow’s Nest Officer’s Club? Ou peut-être aimeriez-vous avoir un petit aperçu de l’art avant de le visiter. Dans tous les cas, voici quelques-unes des œuvres préférées du Gaboteur, accompagnées des histoires qu’elles racontent. (CB)

Avec le HMSC Chamblay, le Moose Jaw a été le premier navire de la Marine royale canadienne à détruire un U-Boat. Le HMCS Moose Jaw ainsi que la majorité des autres navires du NEF appartenaient à la classe Flower des navires britanniques. Selon une tradition toute britannique, lorsqu’une nouvelle classe de navires est construite, elle porte souvent un nom thématique; dans ce cas-ci, Flower. Les navires appartenant à cette classe portent alors, conséquemment, des noms de fleurs. Le Canada a d’abord suivi l’exemple de la Grande-Bretagne, mais après un certain temps, il a commencé à donner aux navires le nom des villes et des communautés où ils ont été construits et d’où vient leur équipage, comme le HMCS Moose Jaw, construit en Saskatchewan, et le HMCS Wetaskiwin, construit en Alberta.
Pour Mme Morris, le HMS Broadway est «une des meilleures histoires du club». Avec le HMS Bulldog, le Broadway est considéré comme le premier navire allié à avoir mis la main sur une machine Enigma allemande entièrement intacte avec ses livres de codes. «Je ne pourrai jamais trop insister sur l’importance de cet événement pour le camp des Alliés. C’était énorme» [traduction libre]. Elle précise que l’équipage avait juré de garder le secret, donc pour elle, le grand sourire du personnage est une façon insolente de dire «Je sais quelque chose que vous ne savez pas!» [traduction libre]. Photo: Coline Tisserand
Avant de laisser sa pièce d’art au Crow’s Nest, le HMS Dianthus s’était fait une réputation en détruisant deux sous-marins allemands, dont l’un en le béliant. Cet exploit a inspiré leur oeuvre en représentant le navire comme un bélier. Leur devise fait référence à la fleur de dianthus: un membre «petit mais robuste» [traduction libre] de la famille des œillets. Mme Morris précise: «Les équipages de la Deuxième Guerre mondiale aimaient le bélier. Ils considéraient que c’était une arme qu’ils pouvaient utiliser avec une certaine précision. Lorsque vous lanciez une grenade anti-sous-marin, vous ne saviez jamais vraiment si vous aviez touché un U-Boat ou non […]. Si vous béliez un U-Boat, vous aviez une idée très précise des dommages infligés à l’ennemi. Seul désavantage – désavantage non négligeable! – de cette technique d’attaque: béliez un U-Boat a pour conséquence d’endommager votre propre navire!» Après avoir dit cela, Mme Morris se met à chanter joyeusement: «Repair yard, time ashore!» (En français, «chantier de réparation, temps à terre!»). Photo: Coline Tisserand
Wetaskiwin est un mot cri que de nombreux soldats colons avaient du mal à prononcer. En utilisant un jeu de mots avec leur mauvaise prononciation, l’art représentant leur navire montre une reine assise sur de la glace, ou une «wet ass queen» («une reine au cul mouillé» dans la langue de Molière).
Bien que plus grand que quatre pieds carrés, le Trillium a été le premier navire à peindre une œuvre spécifiquement pour le club. Selon la légende, nous dit Mme Morris, après que l’équipage ait vu l’œuvre d’art du Wetaskiwin, ils ont laissé leurs bières à moitié pleines au bar pour aller peindre leur propre chef-d’œuvre. Le lendemain matin, l’équipage a apporté sa peinture, encore humide de la nuit précédente. Photo: Coline Tisserand
La pièce léguée par HMS Mimosa représente une croix de Lorraine, symbole de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale. Construit à Bristol puis transféré aux Forces navales françaises libres, le Mimosa a été attaché aux forces d’escorte de Terre-Neuve, où son équipage a passé du bon temps au Crow’s Nest. La veille de Noël 1941, le navire participe à la libération de Saint-Pierre-et-Miquelon des forces allemandes. «Apparemment, tout s’est terminé en trente minutes», [traduction libre] rit Mme Morris. Photo: Coline Tisserand

Cet article fait partie de notre dossier: Des souvenirs d’hier et des réflexions d’aujourd’hui

Le 11 novembre, les Terre-Neuviens et les Labradoriens prennent un moment pour se souvenir des horreurs de la guerre, des vies qui ont été prises et de leurs histoires. Pour commémorer le jour du Souvenir, Le Gaboteur a fouillé dans le passé pour trouver ces histoires qui méritent d’être rappelées et présente de nouvelles histoires d’aujourd’hui. Des archives et des spécialistes nous parlent des guerres passées, et un témoin nous rappelle des familles militaires d’aujourd’hui. (CB)

Les commentaires sont modérés par l’équipe du Gaboteur et approuvés seulement s’ils respectent les règles en vigueur. Veuillez nous allouer du temps pour vérifier la validité de votre premier commentaire.

Laisser un commentaire

Choisir votre option d'abonnement au Gaboteur

Numérique

(web + tablette + mobile)
Annuler à tout moment

Papier

(accès numérique inclus)
Annuler à tout moment

Infolettre

(des courriels de nous)
Annuler à tout moment