Les samedis, le Centre d’Information Touristique ferme à 10h30, avec le départ du bateau, et rouvre à 16h30, en avance de son retour le soir. À la fermeture, les conseillers rentrent chez eux pour une pause de six heures. En montant la rue vers leur appartement, ils expliquent que les heures ouvertes du Centre sont liées à l’horaire du ferry.
Dans leur cuisine, à l’étage d’une maison marronne, la vue par la fenêtre donne sur le port. La municipalité de Fortune compte 1200 résidents dont la vie quotidienne est assez calme. Qu’est-ce qui a donc incité ces mainlanders à venir passer l’été dans la région?
«Je voulais me dépayser», explique Kathleen. L’originaire de Virginie aux États-Unis s’est installée au Québec en 2011. Après avoir vécu certaines situations difficiles à Montréal, elle était à la recherche d’un poste saisonnier à Terre-Neuve-et-Labrador, qui lui permettrait d’employer les deux langues officielles. C’est le désir de ralentir le rythme de sa vie qui l’a mené à Fortune.
Philip-Antoine, quant à lui, a déjà vécu à Terre-Neuve-et-Labrador. Originairement de Lévis au Québec, il a passé un an à St. John’s en obtenant sa maîtrise à l’Université Memorial.
«J’ai beaucoup aimé mon année à Terre-Neuve-et-Labrador, la nature et les paysages», dit-il. «Je me promenais un peu dans plusieurs coins de l’île». Celui qui attendait l’occasion de revenir à la province avait croisé l’offre d’emploi pour le poste sur les réseaux sociaux.
«Je voulais valoriser mon français», poursuit-il. «Ça me permettait de faire quelque chose un peu en lien avec la France de nouveau».
Le Québécois a vécu sept mois en Normandie en 2023, embauché comme guide touristique au Centre Juno Beach. Passionné de l’histoire, à son retour au Canada, il a pris un poste au Musée de la civilisation, dans la capitale de la Belle Province.
Kathleen possède également de l’expérience dans le domaine du tourisme. Employée à Parcs Canada tandis qu’elle complétait son baccalauréat, elle a ensuite été guide à Montréal avec Habitat 67, un édifice à appartements célèbre pour son architecture distincte.
Services touristiques
Bien que l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ne situe qu’à 19 km de la côte de Terre-Neuve-et-Labrador, un voyage aux îles représente néanmoins un traversier international. Les conseillers de voyage sont alors chargés d’assurer que les passagers ont coché toutes les cases avant le départ du bateau.
Philip-Antoine explique que les logements sont limités à Saint-Pierre et qu’on doit donc réserver un hébergement avant de prendre le ferry. Il raconte que certains touristes sont déjà allés à l’île Port pour se retrouver coincés, sans hébergement le soir. Kathleen ajoute que le rôle des conseillers est aussi de faire comprendre les différences culturelles entre les deux régions.
«La fermeture des commerces à l’heure du dîner, par exemple, les gens n’attendent pas à cela», explique-t-elle. «Si, c’est l’Amérique du Nord, mais c’est quand même une frontière internationale.»
«Aller de la province la plus anglophone [au Canada] vers la France, ça fait un double changement de culture», ajoute Philip-Antoine.
L’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) est une société filiale de la Banque de France. Elle publie chaque année un rapport annuel économique sur les départements et collectivités d’outre-mer, dont la monnaie est l’euro. Le rapport 2024 pour Saint-Pierre-et-Miquelon, publié le 27 juin dernier, démarque «un pic de fréquentation touristique, avec 23 705 entrées de touristes étrangers recensées, une augmentation significative imputable aux flux de croisiéristes.»
En 2023, le rapport IEDOM n’a constaté que 13 830 touristes et voyageurs d’affaires étrangers au cours de l’année. Les chiffres de 2024 dépassent énormément ceux de l’année précédente, soit une hausse de 71,4 %. Le rapport de 2024 indique que, «comparé à la décennie des années pré-Covid de 2010 à 2019, ce nombre est également en progression de 92,8 %.»
Et les francophones?
Les Français qui font le voyage de l’archipel à Terre-Neuve-et-Labrador passent moins souvent au Centre d’Information Touristique. En raison de la proximité géographique des deux locaux, de forts liens existent déjà entre les Saint-Pierrais et Miquelonnais et les résidents de la péninsule du Burin. À Grand Bank, un jeune Saint-Pierrais travaillant dans une boulangerie a divulgué que sa famille avait un chalet à Molliers, à 9 km de route. Ce n’est certainement pas cas unique.
Si le français de l’archipel s’entend régulièrement dans les rues de Fortune, ce n’est pas le seul accent francophone que vous croiserez. Philip-Antoine décrit avoir déjà fait la connaissance de plusieurs Québécois et Acadiens qui partaient à la découverte du Caillou.
«Je suis dans une position un peu privilégiée en tant que Québécois à Terre-Neuve-et-Labrador», exprime-t-il. «Pouvoir parler avec des gens et de les faire peut-être vivre la même expérience que j’ai vécue à St. John’s lors de mon premier passage, je trouve ça valorisant.»
«On pallie un peu le manque de bilinguisme qui existe dans le reste de la région», ajoute Kathleen. «C’est sûr que les francophones qui passent par notre bureau apprécient beaucoup le fait qu’ils peuvent parler français.»

La municipalité de Fortune. En arrière-plan, à droite, le port.
Une nouvelle vie
Ayant quitté la métropole pour se rendre dans une municipalité de 1200 résidents, les conseillers de voyage avaient dû s’adapter au changement du rythme de vie. Bien que vous pouvez parcourir Fortune à pied, plusieurs kilomètres d’autoroute défilent entre chaque municipalité de la péninsule de Burin.
«[C’est] ce que je pense être le plus différent [de la vie au Québec]», constate Philip-Antoine. «La nécessité de se déplacer en voiture juste pour sortir de son village.»
Kathleen, qui n’a pas de permis de conduire, doutait de la possibilité de bien vivre à Fortune sans véhicule. Désormais installée au Burin, elle ne se plaint pas et est ravie d’avoir échappé à la saison de construction de Montréal.
«Je cherchais vraiment une pause de la ville et je l’ai trouvée», dit-elle. «Je dors mieux». Elle a pris une carte à la bibliothèque et passe du temps à découvrir les alentours de la municipalité lors de ces jours de congé.
Philip-Antoine part cependant en expédition autant que possible.
«J’essaye de sortir découvrir un endroit que je n’ai pas encore visité. Ce ne sont pas toujours des parcs provinciaux et nationaux, mais c’est quand même magnifique. [Partout, il y a] des sentiers entretenus pas les locaux.»
Le Québécois a également apporté des livres à Terre-Neuve-et-Labrador, expliquant qu’il prévoyait avoir le temps de les lire.
«Il faut être bien seul ici», estime-t-il. «Pas solitaire, mais [il faut] pouvoir se contenter de ce qu’on a.»
Son contrat prend fin à la fin août. Après, il rentre de nouveau au Québec pour entamer un certificat en gestion de projets à l’Université Laval. Kathleen, qui demeure à Fortune jusqu’au 20 septembre, n’est pas certaine de ce qu’elle fera à son retour à la Belle Province.
«J’attends que la mer m’apporte conseil», dit-elle en rigolant. «Ça fait encore 14 ans que je suis à Montréal, donc je cherche à décider si je vais éventuellement partir ailleurs.»
Ce que propose la vie à Fortune répond pour l’instant aux demandes des deux conseillers, qui comptent profiter au maximum de leur séjour à Terre-Neuve-et-Labrador. Ils veulent tout simplement, comme l’a exprimé Philip-Antoine, passer un bel été.